Cancers : les facteurs environnementaux mis à l'index
Face aux cancers, l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail recommande la substitution des facteurs de risque environnementaux et préconise d'approfondir les études sur leur incidence.
Le poids de l'environnement dans l'augmentation des cancers ces vingt dernières années fait débat. En France, le cancer de la prostate est devenu le plus fréquent, avec plus de 60 000 nouveaux cas en 2005. Le cancer du sein demeure quant à lui le plus courant chez la femme, avec un taux d'incidence en 2005 parmi les plus forts en Europe. Les cancers du poumon et de la thyroïde, les hémopathies malignes, le mésothéliome se sont également répandus, tandis que l'incidence d'autres localisations cancéreuses a diminué. Quel rôle les facteurs environnementaux ont-ils dans ces variations ?
" Un nombre limité de rapports et d'expertises, publiés ces dernières années par des organismes internationaux, donne des estimations assez variables des parts attribuables à l'environnement, constate Gérard Lasfargues, responsable du département des expertises en santé environnement-travail de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset). En fait, la littérature scientifique ne couvre qu'une fraction du champ des facteurs cancérogènes environnementaux, avec des informations hétérogènes et incomplètes. Les controverses sur l'estimation de la part attribuable aux facteurs environnementaux s'expliquent essentiellement par la nature avérée ou encore débattue du caractère cancérogène de chacun des facteurs pris en compte dans les publications, mais aussi par le grand nombre de facteurs physiques, chimiques ou biologiques présents dans l'environnement et susceptibles d'être mis en cause : pollution atmosphérique, pesticides, rayonnements non ionisants, etc. Enfin, il existe des interactions complexes entre facteurs environnementaux, génétiques, métaboliques, etc. "
Expertise collective
L'Afsset a donc chargé l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) d'établir un bilan des connaissances sur les liens entre l'environnement et neuf cancers dont l'incidence a augmenté ces vingt-cinq dernières années : cancers du poumon, du sein, de l'ovaire, du testicule, de la prostate, de la thyroïde, mésothéliomes, hémopathies malignes et tumeurs cérébrales. Les agents dont le rôle est actuellement en question dans l'apparition de ces cancers ont été inclus dans la recherche. Dès la publication de cette expertise collective, en octobre 2008, l'Afsset a constitué un groupe de travail interne, auquel ont été associés quatre experts rapporteurs externes, afin de synthétiser les données fournies par l'Inserm et d'auditionner des spécialistes et représentants d'organismes.
L'Agence a ainsi pu émettre un avis en juin sur le thème " Cancers et environnement ", avec des recommandations générales et spécifiques selon les agents : amiante, formaldéhyde, benzène, radon domestique et en milieu professionnel, particules fines et ultrafines, rayonnements X et gamma, pesticides. Leur objectif : diminuer les expositions des populations aux cancérogènes avérés par l'application stricte des dispositions réglementaires de retrait, de substitution et de protection collective. Quant aux substances dont la toxicité est débattue, " dans le doute, le principe de précaution doit s'appliquer de manière positive, des dispositions pour diminuer les expositions doivent être prises ", résume Gérard Lasfargues.
" Principe de protection négocié "
Mais à partir de quand considère-t-on qu'il y a doute ? " Entre des situations d'exposition irresponsables et un principe de précaution appréhendé de manière paralysante, il doit être possible de dégager un principe de protection négocié pour chaque substance, déclare le Dr Omar Brixi, ancien responsable de la prévention à l'Institut national contre le cancer (Inca) et l'un des experts rapporteurs externes du groupe de travail. Il faudrait conforter la démarche d'évaluation de la toxicité des substances avant leur mise sur le marché, comme cela est en cours dans le cadre du programme européen Reach. Une fois cette "autorisation de mise sur le marché" accordée, le débat entre les experts, les associations citoyennes, les industriels peut avoir lieu, argument contre argument. "
L'Afsset propose ainsi d'approfondir les expertises mais aussi les recherches de manière pluridisciplinaire. " L'expologie environnementale et professionnelle, l'expérimentation animale, la toxicologie, l'épidémiologie mais également les sciences sociales ont à se pencher ensemble sur la question, précise Gérard Lasfargues. Il faudrait également pouvoir suivre des populations dans le temps et l'espace (différents lieux d'exposition, notamment professionnelle), établir des parcours d'expositions et s'attaquer aux sources d'inégalité d'exposition en milieu environnemental et professionnel, pour combattre les inégalités de santé vis-à-vis du cancer. " Car, comme l'explique Omar Brixi, " ce sont souvent ceux qui vivent dans les quartiers défavorisés, dans les logements les plus insalubres, qui occupent aussi les emplois exposés et n'ont pas les moyens d'éviter la malbouffe ou d'autres conduites à risque ".
L'Afsset a bon espoir d'être entendue. " Les recommandations faites par agents cancérogènes ont été énoncées pour pouvoir être appliquées dans une optique prioritaire de prévention primaire. Les différents plans annoncés - 2e plan national santé-environnement, 2e plan cancer et 2e plan santé-travail - reprendront un certain nombre de recommandations générales ou spécifiques ", annonce Gérard Lasfargues. Reste à voir quels moyens seront donnés pour leur mise en oeuvre.