
Cancers professionnels chez les pompiers : le Canada agit
Au Canada, une vingtaine de cancers peuvent être reconnus maladies professionnelles pour les sapeurs-pompiers. Directeur du bureau de la sécurité civile de Lévis (Québec), Richard Amnotte détaille les étapes d'une prise de conscience des provinces et la mise en oeuvre d'un cadre national pour la prévention et le traitement de ces pathologies liées à la lutte contre les incendies.
Où en est la reconnaissance des cancers professionnels pour les pompiers au Canada ?
Richard Amnotte : Le droit du travail, et donc le droit à la santé et à la sécurité au travail, au Canada relève d'une responsabilité provinciale. Chacun des treize territoires et provinces a son ministère du travail, et ses lois sur la santé et la sécurité au travail.
Par exemple, au Québec, une quinzaine de maladies oncologiques peuvent être reconnues en maladies professionnelles pour les sapeurs-pompiers, volontaires ou professionnels, sur la base d’un certain nombre d'années de service et donc d'années d'exposition aux fumées et autres contaminants. Mais certaines provinces canadiennes comme le Yukon, le Nunavut ou l’Ontario reconnaissent jusqu’à 21, 22, ou 23 cancers professionnels pour les sapeurs-pompiers.
Quand et comment avez-vous pris conscience du risque cancérogène auquel sont exposés les pompiers ?
R. A. : Essentiellement à partir de 2015, avec la publication d’une étude épidémiologique américaine portant sur trois grandes villes – Chicago, Philadelphie et San Francisco –, qui montrait une prévalence des cancers (poumon, œsophage, intestin, rectum, et plèvre) dans la population des pompiers par rapport à la population générale de ces trois agglomérations. Cela a éveillé ma curiosité et depuis j’ai cherché à approfondir mes connaissances. Au départ, mon rôle a surtout consisté à partager l’information contenue dans cette étude et à rendre accessibles en français un maximum de données sur la prévalence des cancers chez les pompiers.
Puis j’ai cherché à sensibiliser la communauté des pompiers québécois, alors que l'information commençait déjà à circuler dans le milieu anglo-saxon du reste du Canada et aux États-Unis. J’ai fais mes premières communications en 2015-2016, notamment au congrès de l'Association des chefs en sécurité incendie du Québec, et livré un premier témoignage sur les expositions toxiques, accompagné de deux pompiers en rémission d’un cancer professionnel.
Quelles ont été ensuite les grandes étapes qui ont conduit à la reconnaissance des cancers en maladies professionnelles ?
R. A. : Dans le cas du Québec, il y a eu une première étape en 2015 , avec la « Note administrative 1.02 » de la Commission des normes, de l'équité et de la santé et sécurité au travail1
, qui a apporté la reconnaissance administrative de sept cancers professionnels chez les pompiers.
Cela signifie que, pour bénéficier de la reconnaissance en maladie professionnelle et de la réparation, le sapeur-pompier qui est atteint de l’une de ces sept pathologies, doit apporter la preuve du lien de causalité entre son exposition professionnelle et cette maladie. La charge de la preuve lui incombe.
Alors que dans d’autres provinces, comme l’Ontario, certains cancers étaient déjà reconnus de façon « présomptive » : les pompiers n’avaient pas à apporter la preuve du lien de causalité entre leur activité et le cancer dont ils souffraient. Au Québec, c’est en 2018 qu’a été adopté le règlement établissant une reconnaissance présomptive pour neufs cancers professionnels. Cette évolution est le fruit de revendications des syndicats de pompiers, soutenus par les chefs et officiers, car eux aussi sont exposés au risque cancérigène. Le cancer ne fait pas d’exception et il est primordial que tous les acteurs concernés travaillent ensemble.
Il est donc plus facile aujourd’hui pour un pompier québécois de faire reconnaître en maladie professionnelle le cancer dont il est atteint si celui-ci figure dans la liste. En 2024, la mise à jour de ce règlement a aussi permis d’étendre la liste des pathologies concernées à 15 maladies oncologiques.
En 2023, le gouvernement fédéral a adopté une loi pour l’élaboration d’un cadre national sur la prévention et le traitement de cancers liés à la lutte contre les incendies, avec de nouveaux engagements préventifs. Cette loi fédérale ne peut rien imposer aux provinces, mais elle a pour objectif d’inciter à améliorer la prévention en développant le dépistage, la recherche et le partage de l’information à travers le pays. Elle doit favoriser les échanges entre les provinces et territoires, favoriser, sous l’égide du ministère de la Santé du Canada, la recherche sur l’origine de ces cancers, et parvenir à la création d’un registre pan-national des cancers chez les pompiers.
Dans vos interventions, vous soulignez que « le pompier est son pire ennemi » : que voulez-vous dire ?
R. A. : Ce n'est pas parce que la reconnaissance présomptive est inscrite dans la loi que le pompier est protégé du risque. Si les pompiers n’agissent pas pour protéger individuellement leur vie, s’ils n’appliquent pas avec rigueur les mesures de protection et de prévention recommandées, ils seront toujours aussi nombreux à souffrir d’un cancer et à en mourir. Par exemple, à l'issue d'une intervention sur feu, le pompier prend-il bien une douche le plus rapidement possible ? Est-ce qu’il remplace ses tenues de feu souillées par des vêtements propres ? Comment sont lavées les tenues de feu ?
Regardez en France, le débat actuel sur l’interdiction du port de la barbe chez les pompiers. Certains l’ont contesté jusque devant le tribunal administratif, alors que l'on sait pertinemment que l'efficacité d'un appareil respiratoire isolant est réduite substantiellement par la présence d'une barbe ! Les pompiers détiennent une partie de la solution, ils doivent agir.
- 1Organisme provincial chargé de l'application des lois et des règlements relatifs à la santé sécuritaire au travail.
Pour aller plus loin
Visionner le webinaire du 4 février 2025 intitulé « Pompier et maladies à effets différés : les expositions aux fumées…mais pas que ». Il a été organisé par de l’association ETHNA (l’établi du travailleur en Nouvelle Aquitaine), l’IUT de Bordeaux, et l’association de la francophonie pour la santé des pompiers « ENSEMBLE ».
Pompier, un métier à fort risque cancérogène, par Eliane Patriarca, Santé & Travail, octobre 2022
Pompiers : vers un meilleur suivi des expositions aux fumées toxiques, par Eliane Patriarca, Santé & Travail, 25 février 2025
Risque cancérogène : des pompiers déposent plainte, par Eliane Patriarca, Santé & Travail, 01 décembre 2023
Des retardateurs de flamme toxiques pour les pompiers, par Corinne Renou-Nativel, Santé & Travail, 15 novembre 2023