Des cancers professionnels tous azimuts
Selon une étude du Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P), menée dans le cadre du suivi de 249 000 salariés sur quinze ans, plus de 14 000 cas de cancers seraient liés à des facteurs de risque présents au travail.
« C’est très injuste, parce qu’un soudeur qui a un cancer du poumon n’entre dans aucun tableau de maladie professionnelle », rappelle Christophe Paris, professeur de médecine du travail et responsable du centre de consultation de pathologies professionnelles (CCPP) de Rennes. Il regrette notamment le « gros décalage entre les connaissances cliniques et le système de réparation des expositions professionnelles ». Début juin, lors du 35e Congrès national de médecine et de santé au travail, à Marseille, le chercheur a présenté les premières données collectées dans le cadre d’une étude sur les cancers professionnels, menée sous l’égide de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).
Cette étude, qui sera publiée en septembre et s’inscrit dans le plan cancer 2014-2019, s’appuie sur le suivi assuré par le Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P), lequel regroupe les 30 CCPP basés au sein des CHU. Depuis 2001, ce réseau, avec le concours de six services de santé au travail (SST), a pris en charge 249 000 patients, adressés soit par des médecins du travail ou hospitaliers, soit par des spécialistes ou généralistes de ville, voire par des associations. « En quinze ans, nous avons recensé 27 585 cas de cancers, expose Christophe Paris. En étudiant plus précisément 24 000 d’entre eux, on constate que 14 015 sont imputables à une ou plusieurs expositions professionnelles. »
Indice fort, moyen ou faible
Sur ces 14 015 cas de cancers, la recherche clinique a permis de déterminer un indice « fort » ou « moyen » d’origine professionnelle, lié à une ou des expositions à des cancérogènes, pour 9 215 pathologies et un indice « faible » pour les 4 800 restantes. Les salariés concernés ont travaillé ou travaillent encore dans différents secteurs, le BTP et la métallurgie étant particulièrement représentés. En termes de type et de localisation, les cancers bronchopulmonaires (11 019 cas) figurent en première place, puis viennent ceux des voies urinaires (1 314), les hémopathies lymphoïdes matures (452), les leucémies myéloïdes (338), les cancers des sinus (256), ceux du rein (169), du larynx (147), de la peau hors mélanome (107), du système nerveux central (99), du sein (68) et du côlon-rectum (56).
Les cancers broncho-pulmonaires sont en partie surreprésentés, selon Christophe Paris. « Face à un cancer du poumon, les centres de consultation mènent depuis 2006 des interrogatoires systématiques sur les expositions professionnelles, ce qui donne un effet de masse », explique-t-il. Parmi les 11 019 cas recensés, 5 900 sont imputables à l’amiante, avec un indice fort dans seulement 49 % des cas. « Si l’amiante reste l’exposition la plus fréquente, on voit monter fortement la silice et les hydrocarbures aromatiques polycycliques, ou les fumées de moteurs diesel et celles de soudage », précise le professeur.
Ces dernières expositions ont longtemps été jugées comme des facteurs de risque, mais sur un indice « faible ». Depuis, l’avancée de la recherche et le classement récent du diesel comme cancérogène certain par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) ont poussé les experts à attribuer à ces expositions un indice « fort ». De fait, l’évolution des connaissances, ainsi que la possibilité de recueil des données, influent sur l’état des lieux. C’est pourquoi, à Lille et Rennes, les chercheurs ont pris l’initiative de développer un questionnaire spécifique pour les malades souffrant d’un cancer de la vessie. Tandis qu’à Bordeaux, l’équipe du CCPP investigue les expositions aux pesticides.