" Certains font de la santé au travail un commerce "
Gabriel Paillereau, ex-délégué général du Cisme1 , organisation patronale des services de santé au travail, craint que le développement d'activités de services aux entreprises ne détourne la médecine du travail de ses missions de santé publique.
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Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise.
Etes-vous inquiet de la direction prise par la santé au travail ?
Gabriel Paillereau : Au printemps 2007, alors que j'étais délégué général du Cisme, j'avais envoyé au nouveau président de la République un courrier, approuvé à l'unanimité par nos adhérents, dans lequel nous mettions en garde contre deux risques qui guettaient la santé au travail : l'étatisation et la marchandisation. Nous ne voulions ni de l'une ni de l'autre.
Pourquoi parler de " marchandisation " ?
G. P. : C'est en discutant régulièrement avec nos adhérents que j'ai senti monter la volonté de faire de la santé au travail un commerce. De plus en plus, j'entendais que la mise en place de la pluridisciplinarité devait rapporter de l'argent. Certains services interentreprises se lançaient dans des actions de formation, qui leur sont normalement interdites. D'autres visaient explicitement l'accroissement de leur productivité, en augmentant le nombre de salariés suivis par les médecins, même si c'est contraire aux Codes de déontologie et du travail.
Ce faisant, ces services s'éloignent de leurs missions et mettent en péril le système existant. Quand, sous couvert de santé au travail, on veut faire du business, on risque de délaisser les petites entreprises, moins riches, et les salariés les plus fragiles, moins " rentables ". C'est une santé au travail à plusieurs vitesses qui nous guette. Les grandes entreprises consacreront toujours de l'argent à la santé au travail, question d'image. Les plus petites ne le pourront pas.
Votre alerte a-t-elle été entendue ?
G. P. : Pas vraiment. Quand Xavier Bertrand a présenté les axes de la réforme de la santé au travail, en juin 2008, j'ai réagi sur les questions relatives à la gouvernance des services. L'évolution vers une gestion paritaire, si l'on peut comprendre son intérêt pour instaurer plus de dialogue social sur la santé au travail, risque aussi d'aiguiser les appétits. Depuis des années, je constate une pression considérable de certaines organisations patronales pour prendre le pouvoir dans les services de santé au travail. Pour elles, c'est un enjeu politique, mais aussi économique, puisque les services ont de l'argent. Je crains que d'autres préoccupations ne prennent le pas sur la santé et l'intérêt général dans les décisions des services.
D'autant plus que les responsables de certains services ont parfois d'autres intérêts à défendre : l'un est assureur, l'autre dirige une mutuelle, un autre est proche d'un prestataire en santé au travail... Par exemple, il a déjà été demandé à des services interentreprises de jouer les VRP pour des prestataires extérieurs. Les services de santé au travail connaissent les besoins des entreprises en matière de prévention. Pour tous ceux qui veulent faire des affaires avec la santé au travail, ce sont des informations très utiles et très recherchées.
Comme les compagnies d'assurances ?
G. P. : Que les assureurs proposent des prestations, en complément du travail des services, ce n'est pas gênant. Le problème survient quand ils entendent se substituer aux services, prendre leur contrôle. C'est ce qui est arrivé en Belgique, où les services de santé au travail ont été phagocytés par les compagnies d'assurances. L'approche assurantielle domine maintenant : on s'occupe des mieux portants, plus rentables. Et on ne s'intéresse pas au fond du problème, les organisations du travail, puisque l'assureur ne veut pas déplaire à son client, qu'il assure par ailleurs. Or, en France, plusieurs des services les plus influents au Cisme sont aujourd'hui partenaires d'une grosse institution de prévoyance, pour laquelle la santé au travail est un nouveau marché.