La CFDT enquête sur le travail pour mieux agir

La journée du 16 mars a constitué un point d'orgue. Devant ses militants, la CFDT a présenté les premiers résultats de sa grande enquête interactive "Parlons travail", qui a fait un carton avec plus de 200 000 participants et 20,4 millions de réponses enregistrées1 . Ce lever de rideau a été suivi du "grand oral" de quatre candidats à l'élection présidentielle. Benoît Hamon, François Fillon, Jean-Luc Mélenchon - par la voix de son porte-parole Alexis Corbière - et Emmanuel Macron (par vidéo) disposaient chacun de trente minutes pour répondre à un panel de questions. Comment améliorer le travail féminin ? Doit-on toucher au temps de travail ? Comment peut-on protéger les nouveaux travailleurs du numérique ? Pour Hervé Garnier, secrétaire national en charge de la santé et des conditions de travail, il est rare d'entendre les politiques s'exprimer aussi longuement sur le travail. Comme il le rappelle, "c'était aussi une des raisons d'être de cette enquête lancée en septembre dernier : introduire dans le débat public la réflexion sur la place du travail, au moment de la campagne présidentielle".

Six mesures phares

Les candidats sont repartis avec le Manifeste de la CFDT pour le travail, dévoilé au terme de la rencontre. S'appuyant sur les enseignements de "Parlons travail", cette plaquette expose six mesures phares défendues par l'organisation syndicale. Parmi les revendications : "prioriser la prévention de la santé au travail" (entre autres, en développant le compte personnel de prévention de la pénibilité, le C3P, et en appliquant le principe de précaution face aux risques émergents), "penser le temps de travail autrement" (par exemple, en créant une banque de temps destinée à gérer son temps de travail tout au long de sa carrière) ou encore "rendre les évolutions technologiques respectueuses du travail" (notamment en protégeant les travailleurs concernés et en mettant en place des CHSCT adaptés aux nouvelles formes de collectifs de travail).

Le temps des élections passé, l'équipe du service vie au travail et dialogue social de la confédération a encore du pain sur la planche. Il s'agit maintenant de faire vivre le débat sur le terrain. Six kits d'animation thématiques ont été élaborés afin d'aider les sections syndicales et les structures interprofessionnelles à organiser des rencontres autour d'un sujet de l'enquête, pour discuter des résultats, échanger sur les situations vécues par les salariés et réfléchir à de possibles actions. "Le nombre très important de participants à l'enquête montre une réelle attente des salariés, estime Edwina Lamoureux, secrétaire confédérale. Pas moins de 77 % des personnes ont déclaré aimer leur travail, considéré comme un élément structurant de leur vie, mais seulement un quart d'entre elles ont jugé qu'il les gardait en forme. Cette ambivalence ne rend pas aisée la traduction de la question du travail en revendications et actions syndicales."

Depuis le siège de la CFDT, dans le 19e arrondissement parisien, le service anime un réseau d'une quarantaine de correspondants "santé-conditions de travail" dans les territoires, fédérations ou unions départementales. Quatre fois par an, tout le monde se retrouve pour un séminaire de deux jours. L'occasion d'entendre les remontées du terrain, d'expliquer les réformes, de transmettre les messages politiques. Pénibilité, médecine du travail, handicap, maintien dans l'emploi... la santé au travail est un sujet complexe, technique et juridique, qui demande de plus en plus de compétences, dans une approche transversale ne se limitant pas à outiller les élus du CHSCT. "Le profil des correspondants du réseau s'est diversifié, souligne Edwina Lamoureux. Nous comptons à présent moins de spécialistes comme les médecins du travail ou les inspecteurs du travail, parce que nous avons besoin d'une vision élargie pour porter la qualité de vie au travail et l'égalité professionnelle."

"Un outil de pratique syndicale et de vulgarisation"

Pour mobiliser ses troupes, la CFDT a conçu en 2007 un petit outil relatif aux conditions de travail : l'enquête Flash. L'équipe syndicale volontaire est accompagnée par la fédération ou l'union régionale dans la rédaction d'un court questionnaire ; la confédération intervient pour mettre en ligne les moyens de saisie des réponses et d'accès aux résultats statistiques. Ces données constituent une base de dialogue avec les salariés sur leurs problèmes et leurs attentes, avant la construction de revendications négociables. "C'est un outil de pratique syndicale et de vulgarisation sur les conditions de travail très utilisé, relève Philippe Maussion, secrétaire confédéral. Il faudrait parfois en refréner l'usage, tant il est devenu un préalable incontournable à toute action ! Car ce n'est qu'une première étape : tout l'enjeu est d'établir ensuite un rapport de force pour défendre des propositions qui vont améliorer les conditions de travail." Afin de mettre en visibilité les enjeux de la pénibilité, le syndicat a mis en ligne sur son site une application à destination du grand public, "Tester son exposition à la pénibilité", en l'occurrence aux dix facteurs de risque pris en compte dans le cadre du C3P. "C'est une accroche qui permet d'orienter les salariés vers la fédération qui les concerne", précise Philippe Maussion.

Si le service vie au travail et dialogue social joue le chef d'orchestre, ce sont les différentes structures - fédérations et unions - qui initient les démarches. La Fédération générale mines et métallurgie accompagne ainsi une dizaine de sections syndicales pilotes, engagées dans une expérimentation originale d'espaces de discussion des salariés sur leur travail. Par ailleurs, "plusieurs unions régionales ont créé des groupes ressources handicap afin de venir en soutien des élus qui souhaitent oeuvrer sur ce dossier", relate Olivier Leclercq, secrétaire confédéral chargé du handicap. L'union régionale Ile-de-France, par exemple, anime un blog sur le handicap et a édité des guides et des fiches pratiques telles que Mettre en place une action d'insertion ou de maintien dans l'emploi.

Limites de la recherche-action

Comme le montre l'actualité de la CFDT, les enquêtes sur les conditions de travail restent son point fort. La première, "Le travail en questions", a été réalisée en 1995. A partir de mai 2004, une recherche-action a été menée pendant dix-huit mois sur l'intensification du travail. Des experts et chercheurs - sociologues, ergonomes, médecins du travail - ont formé des militants, qui ont ensuite recueilli la parole de salariés des abattoirs, de centres d'appels, de l'industrie, etc. Cette expérience a été relatée dans Le travail intenable2 . Le recours à ce mode d'intervention marque toutefois le pas. "Chaque entreprise représente un cas particulier et il est difficile de tirer des enseignements qui puissent irriguer au-delà", indique Edwina Lamoureux. Mais surtout les évolutions du monde du travail, la transformation numérique des métiers, la "robolution" changent la donne. La temporalité de la recherche-action ne semble plus adaptée aux défis actuels. "Aujourd'hui, un opérateur ne peut pas télétravailler, mais prochainement il le pourra sans doute, prédit Hervé Garnier. Cela nous impose d'être plus dans la prospective que dans la réalité de terrain à décrypter. Il nous faut trouver d'autres capteurs pour anticiper autrement ces mutations majeures des conditions de travail."

• 1

  Voir aussi "Le travail reste un moyen d'épanouissement", Santé & Travail n° 97, janvier 2017, et "Santé et liberté au travail sont corrélées", Santé & Travail n° 98, avril 2017.

• 2

  Le travail intenable. Résister collectivement à l'intensification du travail, Laurence Théry (dir.), La Découverte, 2006.