© Nathanaël Mergui/FNMF
© Nathanaël Mergui/FNMF

La CGT mise sur le pouvoir d'agir des salariés

par Nathalie Quéruel / janvier 2018

Parce que le travail est la pierre angulaire de la santé, comprendre sa réalité est essentiel : c'est sur ce principe que le collectif travail-santé de la CGT fonde sa démarche revendicative. Avec l'ambition de développer le pouvoir d'agir des salariés.

L'équipe en charge de l'activité travail-santé au sein de la CGT aime à se définir comme un collectif. Et, dans son intitulé, elle met en avant le mot "travail", parce qu'il spécifie son approche : "C'est à partir du travail que l'on construit sa santé. Ce point de départ guide toute notre action militante", explique Tony Fraquelli, conseiller confédéral et responsable de l'activité. Depuis plusieurs années, la confédération accorde à cette question une place primordiale, comme en a témoigné son 50e congrès, en mars 2013, centré sur le travail, son sens, son organisation. Avec l'idée de construire une démarche revendicative ancrée dans le travail réel et, de ce fait, plus efficace puisque élaborée avec les salariés. "Face à la dégradation des conditions de travail et à la souffrance des salariés, les militants avaient un sentiment d'impuissance, se souvient Yves Bongiorno, membre du collectif et coanimateur du groupe travail et émancipation. Les travaux de psychologues du travail ont nourri notre réflexion. Pour aller plus loin que la dénonciation et changer les situations, il est essentiel de restaurer le pouvoir d'agir des travailleurs."

 

"Ne pas penser à la place des autres"

Un des éléments fondateurs de la démarche a été la recherche-action sur la prévention des risques psychosociaux chez Renault, suite aux suicides survenus en 2007 au Technocentre de Guyancourt (Yvelines). Pendant plusieurs mois, une trentaine de syndicalistes issus de divers sites de l'industriel et quatre chercheurs en ergonomie et médecine du travail ont ausculté ensemble le travail tel qu'il se fait dans les ateliers et les bureaux. "De cette expérience, nous avons appris que les conquêtes sont plus pérennes quand elles sont coconstruites avec les salariés, note Yves Bongiorno. Quand on place le réel des travailleurs au coeur des discussions du CHSCT, on sort de l'opposition frontale patronat-syndicat." Pour Jocelyne Chabert, membre de l'équipe et ancienne élue au CHSCT de General Electric, prendre le temps d'échanger sur le travail transforme l'activité des militants : "La tournée des délégués du personnel, au lieu d'être une collecte des plaintes, peut devenir beaucoup plus intéressante. Le dialogue, qui met au jour et permet de comprendre les mécanismes de l'activité quotidienne, enrichit les revendications." Cependant, reconnaît Tony Fraquelli, développer le pouvoir d'agir des salariés n'est pas une tâche aisée pour les syndicalistes, "surtout dans notre culture ! Il faut apprendre l'humilité, savoir ne pas savoir et ne pas penser à la place des autres".

C'est pourquoi un des principaux enjeux de l'équipe travail-santé est d'armer les troupes. La formation confédérale "Le travail au coeur de notre démarche revendicative", qui a lieu trois fois par an, rassemble une quinzaine de participants durant une semaine. "Au début, nous accueillions un seul représentant par organisation, dans le but d'en faire profiter un maximum de personnes, raconte Tony Fraquelli. Mais, de retour sur le terrain, les militants se sentaient un peu isolés pour partager cette démarche novatrice. Aussi, nous recevons maintenant plusieurs membres d'un même collectif, ce qui leur donne plus d'élan." D'autres formations du même type sont organisées dans les territoires ; à Toulouse, par exemple, l'Institut régional du travail propose des sessions de trois jours avec des universitaires.

 

L'action du collectif travail santé de la CGT en 4 dates
  • 2007 : Recherche-action sur la prévention des risques psychosociaux chez Renault.
  • 2011 : Lancement de la formation "Le travail au coeur de notre démarche revendicative".
  • 2013 : 50e congrès de la CGT, centré sur le travail.
  • 2017 : Journée d'étude sur l'expertise CHSCT.

Le collectif travail-santé répond également à des demandes spécifiques de formation-action. Ainsi, relate Yves Bongiorno, "le syndicat CGT des territoriaux de la ville de Lyon a fait appel à nous dans le cadre d'une action menée par la direction pour déployer un dispositif de prévention des risques psychosociaux. Le comité de pilotage, réunissant les organisations syndicales, voulait mettre en place des référents ayant pour rôle de faire remonter les problèmes. Mais ce système délégataire dépossède les agents de leur capacité d'intervention". Dans un premier temps, un module de trois jours a été proposé aux militants. Depuis, la collaboration se poursuit, dans un va-et-vient entre temps de réflexion et mise en oeuvre d'actes concrets.

 

Échange de savoirs avec les chercheurs

Au-delà de ces initiatives, la connaissance est diffusée par le biais de petits guides de la collection "Savoir-faire militants", qui traitent aussi bien des expositions professionnelles que de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail, avec des éléments qu'on ne trouve pas sur Internet. Autour de l'équipe gravitent également d'autres cercles, tels que le groupe travail et émancipation ou le groupe langage, où se retrouvent syndicalistes mais aussi chercheurs. "Ces derniers ne sont pas des compagnons de route traditionnels, précise Tony Fraquelli. Ils sont là pour nous questionner. Leurs savoirs nous sont utiles, de même que les nôtres leur apportent beaucoup." Membre du groupe langage, Jocelyne Chabert en souligne l'importance : "Nous cogitons sur le sens des mots afin que les militants se les réapproprient et mettent à distance la communication managériale." "Compétence" ou "qualification", "usagers" ou "clients", "collaborateurs" ou "salariés", "benchmark", "qualité", "coeur de métier"... c'est "Le bal des mots dits", titre de la tribune du magazine de la CGT, La Nouvelle Vie ouvrière (NVO), qui publie les textes de ce collectif depuis septembre 2016. Du côté du groupe travail et émancipation, auquel participent notamment le professeur de droit Pierre-Yves Verkindt et la sociologue Danièle Kergoat, les travaux en cours portent sur l'activité des aides à domicile, une profession au collectif de travail éclaté, peu organisée et aussi parfois confrontée à la violence : "Nous avons soutenu une militante qui a organisé un débat avec ses collègues dans l'intention d'inventer des règles de métier pour faire face à cette violence", indique Yves Bongiorno.

 

Outiller les représentants dans les instances

L'équipe travail-santé a un autre fer au feu : l'accompagnement des représentants du syndicat dans les instances telles que le Coct, l'Anact, l'INRS, l'Anses1 , etc. "Nous veillons à ce qu'ils soient outillés pour porter notre vision au sein de ces institutions", commente Tony Fraquelli. Lorsque le groupe permanent d'orientation du Coct a engagé une réflexion sur l'expertise CHSCT, le collectif s'est mis à l'ouvrage, constatant que sur le sujet, d'une organisation à une autre, les pratiques au sein de la CGT pouvaient être assez différentes. Une journée d'étude a été organisée en juin dernier, avec des intervenants extérieurs, pour se pencher sur l'histoire de l'expertise et interroger la façon dont elle pouvait s'inscrire dans une démarche revendicative axée sur le travail. Mais l'élection présidentielle a bousculé l'échiquier. Les ordonnances sur la réforme du Code du travail ont dilué le CHSCT dans un comité social et économique. Pour Tony Fraquelli, cette réorganisation des instances représentatives va "favoriser un syndicalisme professionnel et son pouvoir de délégation, déconnecté du réel du travail. Cela va malheureusement à l'encontre du pouvoir d'agir des salariés que nous défendons".

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    Coct : Conseil d'orientation des conditions de travail. Anact : Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail. INRS : Institut national de recherche et de sécurité. Anses : Agence nationale de sécurité sanitaire.