© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
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" Chacun a ses utopies. Moi, c'est la défense des faibles "

par Eliane Patriarca / avril 2012

Je n'avais jamais vu une telle tragédie [...]. Elle a touché différentes régions de notre pays, des salariés et des habitants. Elle continue à semer la mort et continuera à le faire qui sait pour combien de temps. " C'est sur cette note très personnelle que, début juillet 2011, le procureur de la République de Turin avait conclu son réquisitoire dans le procès Eternit. Une intervention très longue : il avait fallu deux jours d'audience pour sa lecture, étayée par une connaissance prodigieuse de la jurisprudence et du Code pénal italiens, mais aussi par une écriture percutante et humaniste. A l'exacte image de son auteur, Raffaele Guariniello, 71 ans, dont quarante passés au parquet de Turin, consacrés à la santé et à la sécurité au travail.

Stakhanoviste des enquêtes judiciaires

Un procureur opiniâtre, célèbre en Italie pour son appétit d'enquêtes - de l'amiante au dopage, de la mozzarella bleue aux prothèses mammaires - et pour son courage. Il s'est attaqué à des sanctuaires que personne en Italie n'imaginait affronter, comme la Fiat ou la Juventus de Turin, forgeant peu à peu une jurisprudence pour traiter de la sécurité au travail. Ses deux récents procès - contre ThyssenKrupp, le géant de la sidérurgie, et Eternit, l'ex-multinationale de l'amiante-ciment - représentent " le point culminant de mon voyage dans le Code pénal ", dit-il. Au printemps dernier, il a obtenu la condamnation à seize ans et demi de prison du haut dirigeant italien de ThyssenKrupp, assortie d'une interdiction temporaire de passer contrat avec l'administration publique, pour " homicide volontaire avec dol éventuel " après la mort de sept ouvriers brûlés vifs dans une aciérie de Turin en 2007.

Pour mener à bien ces procès géants et parfois simultanés - Eternit lui a pris huit ans -, le procureur adopte un rythme de travail effarant. Quatre heures de sommeil par nuit et un emploi du temps " maximisé ". Dans son bureau, au cinquième étage du palais de justice, il travaille jusqu'à 20 h 30, puis se rend dans une salle de musculation pour une bonne heure d'entraînement. " Je fais cela depuis quarante ans, ça me divertit et ça m'aide ", confie-t-il. Il revient ensuite travailler, en écoutant de l'opéra, avec une préférence pour Verdi. De 1 à 3 heures du matin, il s'adonne à sa passion, la poésie, classique ou contemporaine. Le procureur ne prend plus de vacances depuis que ses deux fils ont pris leur envol, il y a trente ans. " On enquête beaucoup plus tranquillement l'été, et même une seule heure de travail de plus peut faire beaucoup avancer. "

Stakhanoviste des enquêtes judiciaires, Guariniello garde une passion pour son travail aussi vive qu'au premier jour. " J'ai commencé à être magistrat sans savoir exactement ce que j'allais faire, raconte-t-il. Puis, en 1971, j'ai fait une perquisition chez Fiat et j'ai découvert que tous les ouvriers étaient surveillés et fichés : comportements, affinités politiques, habitudes sexuelles comprises. Cela m'a fait comprendre que le monde de l'usine était très intéressant. " Et quand on pousse dans ses retranchements cet homme orgueilleux et réservé pour saisir les mobiles profonds de son combat, il s'excuse presque : " C'était un champ neuf. Et puis, chacun a ses utopies. Moi, c'est la défense des faibles. Une enquête peut parfois changer la vie de beaucoup de personnes. "