«Le changement climatique aggrave une situation déjà dégradée»
Pour Jean-François Naton, conseiller confédéral CGT et rapporteur de l’avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) adopté ce mardi 25 avril, l’impensé de l’impact climatique sur le travail est d’autant plus ravageur qu’il se construit sur une invisibilisation des maux dans le monde professionnel.
Pourquoi l’avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) ne recommande-il pas, comme le réclame la Conférence européenne des syndicats, l’instauration de températures maximales au-delà desquelles le travail serait interdit ?
Jean-François Naton : Nous savions que le groupe employeurs rejetterait toute obligation sur ce sujet, donc nous nous sommes limités à étayer la nécessité d’aller dans cette direction, en soulignant que les dispositions sur le droit de retrait en cas de danger grave et imminent, inscrites dans le Code du travail, peuvent s’appliquer à l’exposition à des situations climatiques extrêmes. C’est vrai, vous ne trouverez pas le mot conditionnalité dans l’avis. Mon objectif est avant tout d’obliger les employeurs à s’impliquer.
Comment s’explique un tel retard des organisations dans la prise en compte des conséquences du dérèglement climatique au travail ?
J.-F. N. : La France souffre d’un mal endémique : l’invisibilisation des maux du « mal travail ». L’impensé de l’impact climatique sur le travail est d’autant plus ravageur qu’il se construit sur cette invisibilisation. Notre pays a banalisé, accepté les mauvaises conditions de travail et ses effets comme les maladies professionnelles ou les accidents du travail. Le changement climatique aggrave une situation déjà dégradée, et son impact sur les travailleurs reste négligé.
Quelle est à vos yeux la préconisation essentielle de l’avis ?
J.-F. N. : « Inscrire la parole des travailleurs comme le premier principe de prévention dans le Code du travail », car l’invisibilisation prend sa source dans une absence de démocratie au sein des entreprises et du monde du travail. A cause de la mise sous silence de ceux qui font : les travailleurs. Et cela vaut pour les employeurs comme pour les syndicalistes. La crise climatique impose un changement profond de la manière dont les organisations syndicales écoutent ceux qui font, avant de vouloir dire. Il faut alimenter le dialogue social par le dialogue professionnel. C’est à un revirement fondamental, à un nouvel âge de la démocratie du travail que j’appelle.
Vous prônez aussi un rapprochement entre santé publique et santé au travail ?
J.-F. N. : Le salarié qui va mal dormir parce qu’il vit dans un petit appartement en centre-ville ou celui qui doit faire une heure de RER pour aller travailler ne réagiront pas aux fortes chaleurs et canicules comme leur collègue qui a la chance de récupérer durant la nuit parce qu’il habite une maison dans une banlieue plus boisée, à proximité de son lieu de travail. Le changement climatique exige une autre vision de la santé au travail, décloisonnée, en lien avec les services de prévention et de santé publique.
Que pensez-vous de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la transition écologique et le dialogue social auquel sont parvenus les organisations patronales et les syndicats CFDT, CFTC et FO, la CFE CGC émettant des doutes et la CGT refusant de signer ?
J.-F. N. : Cela souligne la pertinence de la réflexion que nous avons engagée depuis septembre dernier au Cese ! Cet ANI est une boîte à outils, un catalogue sans obligations, dont on peut redouter qu’il reste lettre morte. Les travaux du Cese vont de toute façon bien au-delà : ils revisitent la question du travail, de son sens, de son utilité sociale, des conditions et de la santé au travail et s’appuient sur l’expertise de scientifiques, d’environnementalistes, de spécialistes de la précarité et de l’exclusion aussi.