Chimiothérapie : les soignants toujours exposés aux cancérogènes
Le Bulletin épidémiologique hebdomadaire vient de publier une étude de l’INRS sur l’exposition des personnels soignants en oncologie aux produits cancérogènes contenus dans les médicaments cytotoxiques. Un renforcement de la prévention est indispensable.
Les traitements cytotoxiques utilisés pour soigner les cancers ont eux aussi des propriétés… cancérogènes. Ces remèdes qui s’attaquent aux cellules sont utilisés pour les chimiothérapies. Ils peuvent également provoquer des effets génotoxiques – nocifs pour la reproduction – et tératogènes – toxiques pour l’enfant à naître avec des risques de malformation. L’agence nationale Santé publique France publie dans le numéro du 22 mai de son Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) les principaux résultats de deux enquêtes d’évaluation des expositions. Celles-ci ont été réalisées au sein d’un même établissement hospitalier en 2010, puis en 2016, par Sophie Ndaw, responsable d’études à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Elles montrent que le chemin de la prise de conscience des risques dans les services anticancéreux est encore long.
Port de gants irrégulier
Ainsi, en 2010, des traces de contamination par des médicaments cytotoxiques ont été trouvées dans la moitié des échantillons d’urine des infirmiers et aides-soignants suivis, ainsi que sur les surfaces de travail. Malgré la mise en place de plusieurs actions de prévention, la campagne d’évaluation suivante, en 2016, a révélé que les expositions perduraient, voire s’aggravaient. L’analyse de l’enquête par questionnaire « a principalement mis en lumière un port de gants irrégulier chez les infirmiers et les aides-soignants lors de l’administration des médicaments et lors des soins aux patients », souligne l’étude. Par ailleurs, « l’existence d’un kit de décontamination en cas de fuite ou déversement accidentel d’une chimiothérapie n’était connue que par deux des 14 infirmiers suivis ». « Alors qu’en cas d’éclatement d’une poche de médicament, il faut agir immédiatement, en moins de 5 minutes », alerte Sophie Ndaw.
« Les infirmiers ont le sentiment que ce sont ceux qui préparent ces médicaments en pharmacie hospitalière qui encourent des risques, alors que le travail sous hotte limite largement la contamination par voie inhalatoire », décrit Sophie Ndaw. En réalité, la principale voie de contamination est cutanée : les préparations de chimiothérapie sont livrées sous forme de poches ou de seringues emballées. « La face externe de ces préparations et le suremballage peuvent être souillés, et donc sources potentielles de contamination », précise le dépliant de prévention réalisé par l’INRS en 2012 et actualisé en mai. D’où les risques lors de l’administration du traitement au moment de la pose, ou via le contact avec l’emballage. Mais les excrétas du patient (sueur, urine, selles, vomissements) en sont une autre. Alors « cela vaut également pour les aides-soignants, qui ne se sentent pas concernés sous prétexte que ce sont les infirmiers qui administrent les traitements », met en garde la chercheuse à l’INRS.
Prendre conscience des risques
D’où, selon l’INRS, l’intérêt de porter des gants – non pas en vinyle, trop fins, mais en latex ou nitrile – pour manipuler les médicaments mais aussi apporter des soins au patient, ainsi qu’« une surblouse antiprojections à manches longues et serrées, un masque et des lunettes de protection lors de toutes tâches impliquant un risque de projection ». Enfin, il est important de limiter les zones de contamination, via des plateaux de soins et un tri des déchets, pour éviter les risques lors du nettoyage des chambres.
La jeunesse de la population observée et le turn-over important (près de huit infirmiers sur dix avaient une ancienneté inférieure à deux ans dans le service) expliquent que « l’information se soit diluée dans le temps », selon la chercheuse. Ainsi, la moitié des soignants seulement avaient bénéficié d’une formation sur la gestion du risque cytotoxique à leur arrivée dans le service. « Si les personnes concernées n’ont pas totalement conscience des risques, elles n’intègrent pas les gestes de prévention : à l’encadrement de mieux les sensibiliser, et régulièrement », préconise Sophie Ndaw, qui recommande aussi que la formation initiale des soignants consacre davantage de temps et d’attention à ces risques.