Chlordécone : « Des actions judiciaires en attendant une loi »
Emmanuel Macron s’est dit favorable à l’indemnisation des travailleurs victimes du chlordécone, pesticide toxique longtemps utilisé aux Antilles. En oubliant les riverains… Une annonce qui laisse « sceptique » François Lafforgue, avocat des « phyto-victimes ».
Lors de son déplacement aux Antilles, fin septembre, Emmanuel Macron a dénoncé « l’aveuglement collectif » qui a conduit à utiliser massivement le chlordécone dans les bananeraies de 1973 à 1993. Quels sont les risques pour la santé des travailleurs, mais aussi environnementaux, induits par ce produit toxique ?
François Lafforgue : Le président de la République soutient qu’il y a manifestement des risques environnementaux, mais reste plus prudent sur les risques sanitaires, pourtant avérés. Les premiers sont reconnus : le chlordécone s’infiltre dans les sols et les nappes phréatiques, et, du fait de sa persistance, toute la chaîne alimentaire est contaminée des années après son utilisation. Concernant le risque sanitaire, de récentes études du Centre international de recherche sur le cancer indiquent qu’un cancer sur deux en Guadeloupe et en Martinique concerne la prostate, alors que le ratio est de un sur cinq à Cuba, pays comparable en termes de climat et de population mais où les pesticides sont moins utilisés. Ce qui montrerait que les facteurs génétiques, comme certains ont pu le mettre en avant, n’ont rien à voir dans l’apparition de la maladie et que ce sont bien les pesticides qui sont en cause. Une surreprésentation de pathologies neurologiques existe également dans les Antilles.
Le président a annoncé la création d’un tableau de maladies professionnelles pour les travailleurs exposés au chlordécone. Est-ce une bonne nouvelle ?
F. L. : Nous sommes sceptiques sur la portée des annonces d’Emmanuel Macron. Il dit un peu tout et son contraire : il reconnaît un scandale environnemental tout en se limitant à la création d’un tableau, sans accepter notre proposition de mise en place d’un fonds d’indemnisation pour l’ensemble des victimes du chlordécone, professionnelles et environnementales. De longs mois, voire de longues années vont passer avant la création de ce tableau. Par ailleurs, nous craignons des restrictions à la reconnaissance de l’exposition professionnelle, avec une indemnisation qui pourrait être liée à l’intensité de cette exposition.
Comment comptez-vous agir en attendant la création de ce tableau ?
F. L. : Ce n’est pas un bon signe que le gouvernement ait fait obstacle à la création d’un fonds d’indemnisation. Il faut envisager des actions judiciaires plutôt que d’espérer une hypothétique loi. Ce mois-ci, nous allons engager des procédures de reconnaissance en maladie professionnelle en passant par le système complémentaire, à savoir les commissions régionales de reconnaissance des maladies professionnelles, qui exigent de prouver le lien direct de causalité entre la maladie et l’exposition au chlordécone. Ce seront les premières, à ma connaissance. Nous envisageons aussi d’attaquer les exploitants agricoles au tribunal des affaires de sécurité sociale pour faute inexcusable vis-à-vis de leurs salariés exposés. Enfin, les fautes de l’Etat ont été nombreuses. Le retard dans l’interdiction du chlordécone et les dérogations permises entre 1990 et 1993 sont inacceptables. C’est pourquoi nous allons saisir les juridictions administratives à son encontre. Par ailleurs, une plainte en pénal a été déposée au pôle santé publique du tribunal de grande instance de Paris : les responsabilités de certains utilisateurs ou hauts fonctionnaires pourraient ainsi être caractérisées.
Emmanuel Macron a également annoncé un objectif de « zéro chlordécone » dans l’alimentation…
F. L. : Sur ce point, nous travaillons avec le ministère de l’Agriculture pour revoir les limites maximales applicables aux résidus du chlordécone. Nous avons reçu un courrier favorable le 16 juillet, qui nous annonce une publication à venir d’un nouvel arrêté pour les fixer. Nous maintenons notre recours devant le Conseil d’Etat, tant que nous n’avons pas la certitude de la publication de l’arrêté.