Chronologie d’une réforme annoncée

par Aurore Moraine / 16 mai 2024

Le 20 janvier 2023, l’assemblée plénière de la Cour de cassation, soit la plus haute instance judiciaire française, opérait un revirement attendu de sa jurisprudence et considérait que, désormais, la rente versée aux victimes d’une faute inexcusable de l’employeur (FIE) n’indemnisait pas le déficit fonctionnel permanent (DFP). Celui-ci doit donc être indemnisé en plus.
C’est cet avantage pour les victimes qu’ont voulu pousser les organisations syndicales dans le cadre de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la branche AT-MP, signé à l’unanimité des organisations syndicales et patronales le 15 mai 2023. Mais ce n’est clairement pas ce qui ressort de la rédaction de ce texte, le patronat et notamment la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) cherchant, semble-t-il, plutôt à se protéger des effets de la jurisprudence du 20 janvier 2023… d’où les ambiguïtés au moment de la transcription de l’ANI dans le PLFSS.
En effet, on peut lire dans l’accord que « le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation conduit, en l’absence de modification législative, à une augmentation très importante du coût financier reposant sur les employeurs en cas de faute inexcusable de l’employeur, au risque de provoquer des faillites pour les petites et moyennes entreprises. Le coût du seul préjudice du déficit fonctionnel permanent est évalué, sur la base des actions en faute inexcusable de l’employeur jugées en 2022, à 118 M€ ». Il est précisé également que les partenaires sociaux demandent au législateur de « garantir que la nature duale de la rente AT/ MP [NDLR, préjudice économique + déficit fonctionnel permanent] ne soit pas remise en cause ». Or cette nature duale de la rente n’est pas la conception historique de la loi de 1898 et n’a existé que sur une courte période, entre 2009 et précisément le 20 janvier 2023, avant que l’assemblée plénière n’y mette un terme.
Le gouvernement s’est engouffré dans la brèche et a proposé de retranscrire l’ANI dans l’article 39 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023. La disposition prévoyait des modalités nouvelles de calcul de la rente impliquant nécessairement une diminution de l’assiette des salaires prise en compte, censée être compensée par l’introduction de la part fonctionnelle (DFP). Il s’agissait aussi de revoir la mise à contribution de l’employeur en cas de faute inexcusable de sa part. Devant le tollé suscité par ce texte, l’article a été retiré du projet de loi. Le précédent ministre du Travail, Olivier Dussopt, avait alors demandé une clarification quant aux intentions réelles des partenaires sociaux.

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