Le CHSCT a son mot à dire sur la pénibilité

par Dominique Lanoë ergonome et expert CHSCT / janvier 2012

La pénibilité du travail doit désormais faire l'objet d'accords ou de plans de prévention dans les entreprises, sous certaines conditions. Un dispositif limité que le CHSCT peut améliorer en apportant son expertise du terrain.

Depuis mars 2011, plusieurs décrets et circulaires sont venus préciser les modalités d'application du dispositif de prise en charge de la pénibilité du travail, intégré à la loi du 9 novembre 2010 sur la réforme des retraites. Ce dispositif comprend désormais plusieurs volets. Le premier définit les conditions d'accès à un départ anticipé en retraite, en " compensation " d'une exposition prolongée à divers facteurs de pénibilité. Notre revue a déjà eu l'occasion de s'exprimer sur ce sujet1 . Le volet suivant définit lesdits facteurs de pénibilité. Ces derniers ont été regroupés en trois grandes familles et sont énumérés dans l'article D. 4121-5 du Code du travail (CT). Il s'agit de :

  • au titre des ontraintes physiques marquées : manutentions manuelles de charges (cf. art. R. 4541-2 du CT), postures pénibles définies comme positions forcées des articulations et, enfin, vibrations mécaniques (cf. art. R. 4441-1) ;
  • au titre des environnements physiques agressifs : agents chimiques dangereux (cf. art. R. 4412-3 et R. 4412-60), activités exercées en milieu hyperbare (cf. art. R. 4461-1), températures extrêmes et bruit (cf. art. R. 4431-1) ;
  • au titre des rythmes de travail : travail de nuit (cf. art. L. 3122-29 à L. 3122-31), travail en équipes successives alternantes et travail répétitif caractérisé " par la répétition d'un même geste, à une cadence contrainte, imposée ou non par le déplacement automatique d'une pièce ou par la rémunération à la pièce, avec un temps de cycle ".

Un autre volet concerne la traçabilité des expositions à ces facteurs. La réglementation exige, pour les travailleurs exposés, que l'employeur consigne dans une fiche les conditions de leur exposition, la période durant laquelle celle-ci est survenue, les mesures de prévention mises en oeuvre pour la faire disparaître ou la réduire (cf. art. L. 4121-3-1). Cette fiche est communiquée au service de santé au travail et complète le dossier médical du salarié, qui en reçoit une copie lors de son départ de l'établissement.

Enfin, le dernier volet, le plus récent, concerne la prévention de la pénibilité. Celle-ci a été intégrée aux principes généraux de prévention (cf. art. L. 4121-1). Elle fait aussi maintenant partie du champ de compétence du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui " procède à l'analyse de l'exposition des salariés à des facteurs de pénibilité " (cf. art. L. 4612-2). En outre, selon l'article L. 138-29 du Code de la Sécurité sociale (CSS), il est désormais obligatoire pour les entreprises ou groupes d'au moins 50 salariés, dans lesquels au moins 50 % du personnel est exposé aux facteurs de risque mentionnés plus haut, de négocier un accord ou d'élaborer de manière unilatérale un plan d'action sur la prévention de la pénibilité. A défaut, les employeurs encourent une pénalité d'au maximum 1 % des rémunérations des salariés concernés durant toute la période non couverte par l'accord ou le plan d'action.

Gare aux interprétations restrictives

Sur ce volet, le CHSCT a un rôle à jouer. En effet, dans de nombreuses entreprises, les négociations ont tourné court, les employeurs ayant réussi à démontrer que le seuil des 50 % de salariés exposés n'était pas dépassé. Dans d'autres, des accords ou plans d'action ont été mis en place pour la forme. Même si la négociation est du ressort des délégués syndicaux, le CHSCT peut, soit pendant soit après les discussions, apporter son expertise pour améliorer l'accord ou le plan d'action, ou obtenir sa mise en oeuvre. La pénibilité faisant partie de son champ de compétence, il peut demander communication des éléments de diagnostic retenus par l'entreprise, afin d'en débattre.

Repères

Concernant les accords ou les plans d'action sur la prévention de la pénibilité, les membres du CHSCT peuvent se référer notamment aux textes suivants : décrets n° 2011-823 et n° 2011-824 du 7 juillet 2011, circulaire DGT n° 08 du 28 octobre 2011. Ils sont disponibles sur le site www.travailler-mieux.gouv.fr, rubrique " Mesures et moyens de prévention ", puis " Prévention de la pénibilité ", puis " Pour en savoir plus ", puis " Documentation et autres sources ".

Le CHSCT doit notamment porter son attention sur l'inventaire et la cartographie des salariés exposés. La référence est la liste des facteurs de risque énumérés plus haut. Or plusieurs facteurs sont sujets à interprétation, comme les positions forcées des articulations ou les rythmes répétitifs. Sur ces facteurs, une interprétation restrictive aboutira à écarter de l'inventaire nombre de salariés. La connaissance qu'a le CHSCT de la réalité du travail sur le terrain peut l'éviter.

Prenons, par exemple, la manutention manuelle de charges. Selon la norme NF X35109, les charges à déplacer sont estimées " acceptables ", donc non pénibles, jusqu'à 15 kilos. Or bien d'autres critères sont à prendre en compte, tels que la hauteur de prise ou de dépose de la charge ou sa nature même. Ainsi, dans une entreprise de l'automobile, un CHSCT a pu démontrer après enquête que la pénibilité de la manutention des charges n'était pas seulement tributaire du poids des pièces (entre 10 et 15 kilos), mais aussi de leur texture " molle ", qui rendait la préhension difficile vu leurs grandes dimensions. Les deux facteurs cumulés contraignaient ainsi les salariés à avoir les membres supérieurs très souvent en extension.

Inventorier les expositions multiples

Autre point important, le plan d'action ou l'accord doit porter sur au moins un des thèmes suivants (art. D. 138-27 du CSS) : " a) La réduction des polyexpositions aux facteurs mentionnés à l'article D. 4121-5 du Code du travail ; b) L'adaptation et l'aménagement du poste de travail ". En fait, ces deux thèmes devraient être traités de concert, car ils sont complémentaires. En effet, sauf à envisager la situation assez rare d'un établissement où il n'y aurait qu'un seul type d'exposition, il sera difficile de procéder à des adaptations de postes de travail sans prendre en charge les polyexpositions. Ces dernières doivent ainsi être inventoriées. Il est conseillé, pour chaque facteur, de quantifier les expositions poste par poste ou unité par unité, puis de superposer les résultats, afin de mettre en évidence les expositions multiples. Un diagnostic qui se contenterait de dire qu'à l'échelle de l'entreprise 30 % des salariés sont soumis au bruit et 15 % à des agents chimiques dangereux ne sera d'aucune utilité.

Enfin, l'accord ou le plan d'action (cf. art. D. 138-28 du CSS) doit prévoir des mesures de prévention et " les modalités de suivi de leur mise en oeuvre effective ", à savoir des " objectifs chiffrés dont la réalisation est mesurée au moyen d'indicateurs ", ces derniers étant communiqués, au moins annuellement, aux membres du CHSCT. Comme pour tout suivi statistique, le CHSCT doit rester prudent et vérifier davantage la pertinence des indicateurs qu'on lui présente que leur évolution.

Parallèlement à ces démarches, le CHSCT doit s'intéresser aux fiches individuelles censées retracer les expositions aux facteurs de risque. Il peut exiger un bilan sur leur réalisation. Il peut aussi informer les salariés de leur droit à rectifier leur contenu, s'ils les estiment incomplètes. En effet, il sera difficile pour un salarié de reconstituer seul et a posteriori son parcours d'exposition dans l'entreprise. L'action du CHSCT, dans ce cas, peut être décisive pour l'accès des salariés au volet " compensation ".

  • 1

    Lire " Comment s'emparer du dispositif pénibilité ", Santé & Travail n° 74, avril 2011, page 46.