CHSCT : maîtriser l'instance de coordination
Le fonctionnement de la nouvelle instance de coordination des CHSCT, créée pour gérer des expertises uniques dans les entreprises à établissements multiples, est encore flou. Raison de plus pour s'en préoccuper dès maintenant.
La loi dite "de sécurisation de l'emploi" (LSE) du 14 juin 2013 a profondément modifié le cadre d'intervention du CHSCT. Avec une nouveauté : la possibilité pour l'employeur de mettre en place, à son initiative, une instance de coordination (IC) des CHSCT lorsque plusieurs établissements de l'entreprise sont concernés par un projet (nouvel article L. 4616-1 du Code du travail). Il peut s'agir d'un projet important modifiant les conditions de travail (L. 4612-8), d'une nouvelle technologie (L. 4612-9), d'un projet de restructuration avec compression d'effectifs (L. 4614-12-1). L'IC n'a qu'un seul et unique objet : lancer et coordonner une expertise unique, en lieu et place d'expertises déclenchées établissement par établissement.
Elle est donc éphémère, son existence étant liée à celle d'un projet, le temps d'une expertise. Celle-ci ne peut porter que sur un projet important ou une restructuration, conformément aux cas de recours définis par le Code du travail (L. 4614-12 2e alinéa et L. 4614-12-1). A priori, l'expertise pour risque grave (L. 4614-12 1er alinéa) ne peut justifier la mise en place d'une IC.
Composition et fonctionnement
A défaut d'un accord prévoyant des modalités particulières (L. 4616-5), la composition de l'IC correspond à celle du CHSCT (L. 4616-2). Outre l'employeur, ou son représentant, l'IC accueille une délégation du personnel. Celle-ci varie selon le nombre de CHSCT concernés par le projet (voir tableau). La désignation des élus CHSCT susceptibles de siéger au sein de l'IC doit être organisée en début de mandat, lors de la création ou du renouvellement de chaque CHSCT. En revanche, ses modalités ne sont pas précisées. Chaque comité devra les déterminer. La loi a par ailleurs prévu des modalités de remplacement lorsqu'un élu CHSCT désigné pour siéger à l'IC cesse ses fonctions en cours de mandat. Il est remplacé lors de la réunion suivante de son CHSCT ou d'une séance plénière exceptionnelle, si l'IC doit être réunie rapidement.
Lorsqu'une IC est mise en place, la liste nominative de ses membres est affichée dans les locaux des établissements concernés. Elle indique la qualité, les coordonnées et l'emplacement de travail habituel des membres de l'instance (R. 4616-3). En plus de l'employeur et des élus du personnel, l'IC accueille un médecin du travail, un inspecteur du travail, un agent des services de prévention de la Sécurité sociale, ou de l'Office professionnel de prévention du BTP, et un responsable sécurité. Selon les textes, ces personnes sont celles "territorialement compétentes pour l'établissement dans lequel se réunit l'instance de coordination s'il est concerné par le projet et, sinon, celles territorialement compétentes pour l'établissement concerné le plus proche du lieu de réunion". Cette règle de territorialité ne résout pas la question du choix du médecin du travail quand plusieurs sont compétents sur le même territoire. Ce choix devrait faire l'objet d'une délibération entre les médecins du travail. La LSE est aussi muette sur la participation de représentants syndicaux à l'IC. Celle-ci est pourtant possible pour les CHSCT des établissements de plus de 300 salariés, avec voix consultative.
Au niveau du fonctionnement, le cadre se révèle un peu plus flou. Si seuls l'employeur, ou son représentant, et la délégation du personnel ont voix délibérative au sein de l'IC, les sujets sur lesquels l'employeur peut voter ne sont pas précisés. La jurisprudence antérieure sur les CHSCT est néanmoins claire. Dans le cadre d'une consultation sur un projet important, seule la délégation du personnel peut se prononcer sur le recours à un expert. Il serait donc contraire à l'esprit du fonctionnement des CHSCT que l'employeur participe au vote sur cette question au sein de l'IC. Le droit de vote de ce dernier se réduit a priori aux modalités de fonctionnement de cette instance. Des modalités qui sont à clarifier. La LSE n'a pas prévu de crédits d'heures spécifiques ou de moyens matériels pour les élus CHSCT amenés à siéger à l'IC. Il appartient donc à chacun d'entre eux de revendiquer le temps nécessaire à cette mission, par exemple au titre des circonstances exceptionnelles (L. 4614-3), ou à l'IC de voter l'octroi de moyens adaptés. La possibilité pour les représentants du personnel de demander une réunion exceptionnelle de l'IC n'est pas non plus prévue.
Enfin, d'autres questions restent sans réponse. Comment gérer en même temps plusieurs projets justifiant chacun la mise en place d'une IC ? Comment articuler une IC avec un éventuel CHSCT central, ou avec une coordination de CHSCT, prévue dans les établissements de plus de 500 salariés comprenant plusieurs comités (L. 4613-4) ? Autre écueil, l'ordre du jour et les documents relatifs au projet sont transmis aux membres de l'IC par l'employeur 15 jours avant la première réunion en cas de projet important, 7 jours avant en cas de restructuration. Or, selon l'article R. 4614-4, le secrétaire de l'IC est désigné durant cette première réunion. Il est dès lors impossible que l'ordre du jour de cette réunion soit arrêté conjointement par l'employeur et le secrétaire, pas encore désigné, alors que c'est la règle (L. 4616-4).
Avis et délais
Le dernier point important concerne le délai dont dispose l'IC pour gérer l'expertise et rendre un avis, qui demeure facultatif (R. 4616-8). En cas de restructuration, ce délai dépend de celui accordé au comité d'entreprise (CE) pour se prononcer (voir schéma) : de 2 à 4 mois selon le nombre de licenciements (L. 1233-30). Le rapport d'expertise doit être rendu 15 jours avant la fin de ce délai, et l'avis de l'IC formulé dans l'intervalle (L. 4614-12-1). Le législateur n'a pas précisé le point de départ de la mise en place de l'IC. Un employeur qui tarderait à la créer, alors que cela relève de sa seule initiative, risquerait fort de voir le tribunal administratif allonger les délais. Pour les projets importants, le CE dispose de 4 mois pour se prononcer quand une IC est mise en place (R. 2323-1-1). Le rapport d'expertise doit être rendu 7 jours avant la fin de ce délai, l'avis devant être formulé dans cet intervalle. L'expertise dure au maximum 60 jours (R. 4616-9). Les contestations sur l'expertise relèvent toujours du tribunal de grande instance.
Le rapport d'expertise et l'avis de l'IC doivent ensuite être transmis aux CHSCT concernés, pour qu'ils puissent rendre un avis (L. 4616-3). Il peut être utile de prévoir une coordination des secrétaires de CHSCT sur les ordres du jour des comités locaux. Il faut aussi exiger une présentation par l'expert de son rapport dans les comités. Ces derniers, même privés de leur droit à expertise, sont consultés à part entière. L'employeur doit donc leur exposer la déclinaison locale de son projet et leur transmettre un dossier spécifique de consultation. S'il ne le fait pas, un CHSCT d'établissement pourra user de son droit à expertise sur son périmètre. Une démarche qui devra être fortement motivée et sera tranchée par l'instance de recours (voie civile ou administrative selon les cas).