CHSCT : plaintes croisées pour délit d'entrave à Air France

par Martine Rossard / avril 2009

Les plaintes pour délit d'entrave au CHSCT volent entre direction et syndicalistes d'Air France. Sauf que le parquet semble être plus à l'écoute des doléances de l'employeur : l'ex-secrétaire du CHSCT du personnel navigant risque ainsi un mois de prison.

Chez Air France, le dialogue social a du plomb dans l'aile. C'est ce que tendrait à prouver le cas d'Alexandre Gries, commandant de bord et membre du syndicat Alter1 , traîné en correctionnelle sur citation du parquet en sa qualité d'ancien secrétaire de comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Dans cette procédure, Air France avait porté plainte contre X en août 2007. Mais le parquet a décidé une citation directe contre Alexandre Gries sans ouvrir d'instruction et la compagnie aérienne s'est portée partie civile. Elle reproche au syndicaliste d'avoir "organisé la paralysie" du CHSCT-PN (personnel navigant). "La société s'est trouvée confrontée à la volonté systématique de M. Gries d'entraver le fonctionnement de l'institution", affirme la compagnie dans ses conclusions pour l'audience du tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny, le 23 janvier 2008. Elle lui impute des refus de siéger ou de signer des ordres du jour, décisions pourtant prises par vote unanime des élus. "L'idée même d'une attaque ciblée et individualisée à l'encontre d'un individu élu qui n'a agi que par mandat du comité, dont il était secrétaire, et de ses élus est inacceptable", ont dénoncé douze syndicats d'Air France.

 

Sanctions disproportionnées

 

La compagnie accuse aussi le syndicaliste d'avoir défendu ses intérêts personnels. Le directeur juridique social, Franck Raimbault, soutient que le prévenu lui aurait confié vouloir nuire à Air France faute d'obtenir un poste d'instructeur. Dans les faits, la compagnie a été condamnée pour discrimination le 18 mai 2007 par la cour d'appel de Paris, après avoir écarté à onze reprises la candidature de M. Gries à un tel poste. Et le pourvoi d'Air France a été rejeté le 3 mars par la Cour de cassation.

Certes, Air France ne réclame qu'un euro de dommages et intérêts. Mais on peut craindre qu'une condamnation pénale ne remette en cause l'inscription du pilote sur le registre du personnel navigant ou son habilitation à pénétrer sur les terrains d'aviation, et donc la poursuite de son métier. Mais le plus surprenant dans cette affaire, c'est que le procureur a requis un mois de prison ! "C'est une prise d'otage, tempête l'avocat du syndicaliste, Me Frédéric Weyl. Air France n'a pas subi de préjudice direct et sa plainte n'aurait pas dû aboutir." Pour lui, la simple enquête de police décidée par le parquet a empêché le prévenu de se défendre, alors qu'une instruction n'aurait certainement pas retenu les griefs du plaignant.

Une sévérité que l'on ne retrouve pas dans les réquisitoires du parquet contre Air France dans une autre affaire, opposant cette fois le CHSCT-PN à la compagnie, suite à une plainte pour délit d'entrave déposée en 2005. "Après quatre ans d'instruction, le parquet n'a pratiquement rien retenu des multiples entraves dénoncées dans la plainte du CHSCT, s'insurge Me Alain Cornevaux, avocat de celui-ci, et il ne s'est pas saisi des faits ajoutés en 2008." Plus grave encore à ses yeux, "Air France n'est pas citée"

Lors de l'audience, le procureur n'a requis que deux peines d'amende, totalisant 3 000 euros, pour deux présidents successifs du CHSCT ayant eu délégation de pouvoir. Elles concernent le refus de présenter le plan de prévention pour l'avitaillement des avions. Pour Franck Raimbault, "le CHSCT compétent était celui du personnel au sol", en contact avec le personnel des compagnies pétrolières. En revanche, aucune peine n'a été requise pour l'absence de remise des plans de rotation des vols ou de documents sur leur sûreté. Des documents qui "ne relèvent pas des questions de sécurité au sens du Code du travail", selon la direction. Le procureur a par ailleurs requis un surprenant non-lieu pour le refus de laisser accéder le CHSCT-PN aux rapports établis par les commandants de bord et signalant toute anomalie ou incident.

 

Un CHSCT trop actif ?

 

Ces procédures croisées témoignent de divergences entre direction et élus du personnel sur l'étendue des pré­rogatives reconnues au CHSCT. Pour ses 70 000 salariés, Air France se targue de placer "l'écoute et l'échange au coeur de sa politique de ressources humaines". Mais, depuis sa privatisation, la compagnie est accusée par les syndicats de vouloir couper les ailes à ce qui a été le plus grand CHSCT de France, avec 18 élus pour 19 000 salariés. Surtout depuis l'enquête menée par le CHSCT-PN sur le crash du Concorde qui avait fait 112 morts en 2000, dont 8 membres d'équipage. Le rapport du CHSCT listait plusieurs dysfonctionnements et incidents précurseurs, mal pris en compte, et pointait l'insuffisance des contrôles de la direction générale de l'Aviation civile. "Depuis, on nous refuse les documents et on nous dit que la sécurité des vols ne relève pas de la sécurité du travail", indique un ancien élu du CHSCT-PN. Selon ce dernier, la direction s'abrite derrière la réglementation pour occulter certains risques, comme ceux liés à l'absence de contrôle du poids des bagages en cabine. Pourtant, plusieurs membres d'équipage ont été blessés en raison de l'ouverture inopinée de caissons de rangement trop chargés...

Autre exemple, suite à la réouverture de la ligne aérienne sur Alger, jugée à risque après un détournement, le CHSCT, mis devant le fait accompli, a émis un avis de danger grave et imminent et réclamé une expertise. Selon Me Cornevaux, la direction a contesté l'expertise puis, déboutée en première instance et en appel, a traîné les pieds pour remettre les informations au cabinet missionné. Dans sa plainte, le CHSCT énumère plusieurs entraves, écartées par l'instruction : non-transmission de procès-verbaux, absence ou remise tardive de documents, absence d'intervenants compétents, exigence de confidentialité excessive... Et il dénonce le refus de la direction de traiter des sujets comme les turbulences en vol ou les risques repérés à certaines escales.

"Le CHSCT pourrait jouer un rôle de prévention, mais la direction ne prend pas en compte ses avis, ou alors tardivement", assure Bruno Sinatti, le président d'Alter, lui aussi commandant de bord. Il n'en veut pour preuve que les protections contre le paludisme décidées... après un décès. Ou les précautions sur les escaliers mobiles prises... après la chute mortelle d'une hôtesse à Orly. "Pour cet accident, Air France vient d'être mise en examen par le tribunal de Créteil, mais a bénéficié d'une ordonnance de non-lieu à Bobigny", s'étonne l'avocat du CHSCT. Depuis les plaintes, le CHSCT-PN a été scindé en deux - personnel technique et personnel commercial - contre l'avis unanime des syndicats, du comité d'entreprise et de l'Inspection du travail. En définitive, dans son délibéré prononcé au moment où nous mettions sous presse, le tribunal de Bobigny a relaxé tant Alexandre Gries que les deux présidents successifs du CHSCT-PN d'Air France. Mais les parties comme le parquet n'ont pas encore fait savoir s'ils entendaient faire appel.

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    Syndicat du personnel navigant technique d'Air France, membre de l'union syndicale Solidaires.