Combien de cancers d'origine agricole ?
Si l'on meurt moins de cancer en milieu agricole, l'étau se resserre au fil des études épidémiologiques sur le rôle des produits phytosanitaires dans la survenue de certaines tumeurs. Les constats au récent symposium de médecine agricole.
A écouter la Dre Catherine Nisse, chercheuse en santé au travail à Lille, énoncer les nombreuses études épidémiologiques montrant des liens statistiques entre les expositions agricoles, notamment aux pesticides, et les hémopathies malignes, les " cancers du sang ", on ne peut qu'être convaincu de l'urgence d'agir pour protéger les agriculteurs. Sauf que, globalement, la mortalité par cancer de ces derniers est inférieure à celle de la population générale. Ce paradoxe était au coeur du symposium " Cancer et travail en agriculture ", organisé à Tours le 16 septembre dernier par l'Institut national de médecine agricole (INMA).
Des tumeurs spécifiques aux agriculteurs
Devant de nombreux médecins du travail, la Dre Isabelle Tordjman, de l'Institut national du cancer, a noté pour les agriculteurs " une incidence inférieure à la moyenne pour les cancers du poumon, de l'oesophage et de la vessie, trois cancers pour lesquels le rôle du tabagisme est particulièrement marqué ". Mais, a-t-elle ajouté, on constate un excès de cancers des lèvres, de la prostate, du cerveau et des cancers hématologiques.
Un paradoxe confirmé par le Dr Pierre Lebailly, épidémiologiste au Grécan, un groupe de recherche sur le cancer situé à Caen (Calvados). Après avoir rappelé les bilans de différentes métaanalyses1 montrant des excès significatifs de différents cancers - prostate, mélanomes et sang - chez les populations agricoles, il a présenté les tout premiers résultats de l'étude Agrican (pour " Agriculture et cancer "), qu'il coordonne. Réalisée à partir de 180 000 réponses d'affiliés à la Mutualité sociale agricole (MSA) résidant dans douze départements disposant d'un registre du cancer, cette étude fait apparaître que le risque de mort par cancer est inférieur de 27 % chez les agriculteurs et de 19 % chez les agricultrices par rapport à la population générale.
Toujours selon cette étude, 48 % des hommes et 19 % des femmes interrogés sont ou ont été utilisateurs de pesticides, un des facteurs de risque de cancer. Agrican devrait fournir d'autres résultats dans les prochains mois, mais d'ores et déjà, l'étude est contestée par l'association écologiste Générations futures, qui déplore qu'elle ne prenne pas en compte les saisonniers agricoles, certaines cultures ou certains départements à fort taux de mortalité par cancer. Le mouvement y voit le résultat de pressions des producteurs de pesticides réunis dans l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP). " Cette étude, financée par la MSA et l'UIPP, manque d'indépendance ", affirme son porte-parole.
Le Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P) a, quant à lui, donné un éclairage différent, sur la base d'un échantillon de 224 consultations pour des problèmes de santé relatifs à un cancer concernant des affiliés MSA. La majorité de ces patients exerce ou exerçait en culture et élevage, en viticulture ou en cultures de céréales et cultures industrielles. Les principales nuisances identifiées sont l'arsenic, les produits phytosanitaires non arsenicaux et l'amiante. Les produits phytosanitaires non arsenicaux ont été considérés comme " probablement " en relation avec le cancer dans 11,6 % des cas et " possiblement " dans 16,5 % des cas. Pourtant, à l'heure actuelle, les pathologies imputables à ces produits, hors arsenic, ne figurent toujours pas dans un tableau de maladies professionnelles.
Peu de cancers professionnels reconnus
Sur ce dernier point, le Dr Jean Houssinot, conseiller technique à la MSA, a dressé un état des lieux des cancers reconnus en maladie professionnelle chez les quelque 1,7 million d'assurés du régime agricole. Il y a ainsi eu 80 reconnaissances de cancers professionnels, dont 25 après exposition à l'amiante, entre 2002 et 2010. Parmi ces reconnaissances, 13 ont concerné des cancers hors tableaux, dont 11 signalaient une exposition aux produits phytosanitaires. Un nombre de reconnaissances excessivement faible au regard des cancers pris en charge en " affections de longue durée " par la MSA : 23 000 pour la seule année 2009.
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Une métaanalyse est une méthode d'analyse consistant à agréger les données de plusieurs enquêtes.