Cimetière parisien de Pantin - © Nathanaël Mergui/Mutualité française
Cimetière parisien de Pantin - © Nathanaël Mergui/Mutualité française

Comment réduire la pénibilité liée au "zéro phyto"

par Joëlle Maraschin / juillet 2018

L'abandon des pesticides dans les cimetières parisiens a eu pour conséquence d'augmenter la pénibilité des tâches des cantonniers. L'intervention d'ergonomes a permis de traiter le problème, en aidant agents et encadrement à réorganiser le travail.

Alertée par le classement du glyphosate comme cancérogène probable par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la Ville de Paris a décidé d'arrêter dès début 2015 l'utilisation de produits phytosanitaires au sein de tous ses espaces verts, dont les cimetières parisiens. Une mesure d'interdiction qui concerne, depuis janvier 2017, l'ensemble des espaces verts et jardins publics des communes françaises. Cet arrêt des pesticides a supprimé un risque chimique pour les agents. Mais il a entraîné une augmentation de la charge physique de travail pour les adjoints techniques d'entretien des espaces (ATEE), les cantonniers.

"Les équipes étaient conscientes qu'il était préférable pour leur santé d'abandonner l'utilisation de produits phytosanitaires, raconte Perrine Erzepa, ergonome à la Ville de Paris. Les agents ont cependant été en difficulté en raison d'un manque d'anticipation des impacts de cette mesure." Elle et ses collègues assistants de prévention ont réalisé une première intervention ergonomique auprès de deux cimetières, ceux d'Ivry-sur-Seine et de Montmartre, pour mieux comprendre les nouvelles contraintes de travail des cantonniers.

 

Les contraintes des herbes folles

 

Tout d'abord, en l'absence d'utilisation de pesticides, les périodes de désherbage et de débroussaillage se sont allongées de plusieurs mois. Il a fallu mener ces opérations pendant l'été, alors que cette période, habituellement plus calme, était réservée à des tâches plus légères d'entretien, qui venaient diversifier l'activité. Celles-ci ont disparu. Le travail des cantonniers est aussi devenu physiquement plus pénible : désherbage manuel, ramassage des feuilles plus contraignant dans les herbes folles, port de charge en continu avec l'usage plus fréquent de souffleuses ou de débroussailleuses...

"Dans l'incapacité de traiter toutes les divisions, les équipes se sentaient débordées, avec le sentiment d'un travail mal fait", poursuit Perrine Erzepa. Peu habitués à voir des herbes folles pousser autour des sépultures, des usagers se sont plaints de l'état des cimetières. "Mais nos agents étaient prêts à se rendre malades pour continuer à bien faire leur travail", tient à souligner Wilfrid Blérald, conservateur du cimetière parisien de Pantin, autre site concerné par la problématique.

Pour les deux cimetières dans lesquels les ergonomes et assistants de prévention de la Ville sont intervenus en premier, plusieurs solutions d'amélioration ont été trouvées, avec les cantonniers eux-mêmes et leur encadrement : rotation des agents sur les tondeuses et débroussailleuses pour alterner les tâches, choix des divisions prioritaires en fonction de la fréquentation du public, travail en équipe plutôt qu'affectation d'un agent sur un secteur donné. Il a également été fait appel à une société d'ingénierie en écologie urbaine, afin de recréer un environnement végétal plus facile à entretenir. Des herbes locales poussant moins vite et moins haut ont été introduites ; à d'autres endroits, des tapis végétalisés permettant de limiter la croissance des herbes folles ont été déroulés.

 

Des encadrants formés à l'analyse du travail

 

Mais les choix effectués pour Ivry et Montmartre n'ont pu être transposés aux autres cimetières, en raison d'une grande variabilité de la topographie, de la biodiversité, ou encore de la surface des sépultures et de leur type, sans compter les ressources à disposition. "Il fallait que chaque cimetière puisse trouver sa propre solution", note Perrine Erzepa. Les ergonomes de la Ville de Paris ont donc décidé de mener une formation-action, confiée à Olivier Raquin, ergonome au cabinet Ergonalliance.

Cette formation-action a ciblé l'encadrement de proximité, les techniciens de services opérationnels (TSO) et les conservateurs des cimetières. L'objectif était de former les encadrants à l'analyse ergonomique des situations de travail exposant le plus au risque de troubles musculo-squelettiques (TMS), afin qu'ils puissent identifier, avec les cantonniers, des pistes de prévention. "Il nous a semblé plus intéressant de favoriser l'autonomie des équipes en matière de prévention, plutôt que de rendre un rapport ergonomique qui aurait été vite oublié", témoigne Olivier Raquin. Des connaissances sur l'origine multifactorielle des TMS, la différence entre travail réel et travail prescrit ou le rôle important de l'encadrement en matière de prévention ont été apportées aux participants. Entre les sessions de formation, les encadrants ont été encouragés à mettre en place des groupes de travail et de réflexion collective sur le travail avec les cantonniers.

"Ce sont les cantonniers qui connaissent le mieux leur travail, explique Olivier Raquin. Grâce à ces espaces de discussion, les encadrants ont pu découvrir la réalité de leur travail, mais aussi la pénibilité de certaines tâches qu'ils ne soupçonnaient pas." Ainsi, dans le cimetière parisien de Pantin, la tâche de chiffonnage, qui consiste à collecter les divers déchets sur un véhicule motorisé, était considérée comme l'une des tâches les moins contraignantes par les encadrants. Les cantonniers ont pu parler des difficultés rencontrées pour la réaliser. Elle s'est révélée particulièrement pénible, du fait de la lourdeur de certains déchets laissés par les entreprises extérieures.

 

Des Collectifs de travail dynamisés

 

"Nous avons réfléchi avec les cantonniers à une nouvelle organisation du travail, pour alterner tâches pénibles et tâches moins pénibles", résume Wilfrid Blérald. Pour alléger la tâche de chiffonnage, le conservateur a aussi demandé de nouveaux équipements à la Ville. Les agents d'accueil et de surveillance ont été chargés de vérifier que les entreprises extérieures remportaient bien leurs déchets et palettes, afin de limiter le risque à la source. Dans ce même cimetière, les cantonniers et l'encadrement ont par ailleurs repensé collectivement l'organisation des activités de soufflage et de débroussaillage en équipe. A tour de rôle, un cantonnier est détaché pour ramasser les détritus sur la division en cours de traitement, ce qui permet d'éviter que ceux qui portent les machines aient à se baisser.

Cette intervention ergonomique a permis la création d'espaces de débat sur le travail, aussi bien pour les cantonniers que pour les encadrants de proximité. Les TSO des différents cimetières ont ainsi commencé à se réunir régulièrement pour échanger entre eux. "Les cantonniers ont, quant à eux, pu donner leur avis dans les groupes de travail mis en place à l'occasion de l'intervention. Cette reconnaissance est un pilier de la santé au travail", affirme Olivier Raquin. Dans le cimetière parisien de Pantin, les encadrants de proximité ont pris l'habitude d'organiser des réunions mensuelles avec les cantonniers, afin d'échanger sur leurs éventuelles difficultés et les solutions qui pourraient être mises en oeuvre. "Nous avons moins de discours découragés de la part des cantonniers, conclut Wilfrid Blérald. Ils savent que nous écoutons et prenons en compte leurs propositions."