Comptes pénibilité : le secret est bien gardé !
Le nombre de comptes pénibilité ouverts au titre des facteurs de risque entrés en vigueur au 1er juillet 2016 (postures pénibles, agents chimiques dangereux…) est tenu secret en raison de la campagne électorale. A moins qu’il ne s’agisse de masquer les freins au dispositif.
Peine perdue ! Nous avons en vain frappé à toutes les portes pour obtenir les chiffres des ouvertures de comptes personnels de prévention de la pénibilité (C3P) depuis le 1er juillet 2016, date d’entrée en vigueur de la seconde vague de facteurs de risque[[Manutentions manuelles de charges, postures pénibles, vibrations, agents chimiques dangereux, températures extrêmes, bruit.]] rendant éligibles au dispositif les salariés exposés dans certaines conditions. Tour à tour, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), qui gère ce dispositif, les cabinets des ministres du Travail et de la Santé et le Conseil d’orientation des retraites (Cor) ont refusé expressément de nous répondre ou ont fait le mort. Raison invoquée par la direction Pénibilité de la Cnav : « Ces données sont confidentielles et nous avons pour consigne de ne pas les diffuser pendant la campagne électorale. »
Précisément, alors que la pénibilité fait partie des thèmes de débat entre les candidats à l’élection présidentielle – les uns promettant l’abrogation du dispositif ou sa suspension, les autres son renforcement –, il aurait été intéressant, pour éclairer le débat public, que la discussion puisse se faire sur des bases concrètes. En particulier, il aurait été instructif de comparer le nombre de comptes ouverts par facteur de risque et le nombre de salariés exposés à ces mêmes facteurs selon les résultats des grandes enquêtes nationales sur les conditions de travail.
Loin du nombre attendu
Or, justement, selon les échos que nous avons recueillis, il semblerait que le nombre de comptes ouverts par les entreprises soit très loin du nombre de comptes attendus au vu des connaissances sur les expositions professionnelles. Est-ce parce que les critères réglementaires retenus pour être éligible au dispositif (en particulier le nombre d’heures d’exposition) sont trop sélectifs ? Est-ce parce que des entreprises ont omis de remplir leurs obligations, préférant attendre la diffusion de référentiels de branche (pourtant prêts, mais non rendus publics) ou, pire, l’abrogation du dispositif à la faveur d’un changement de majorité ? Il est bien difficile de répondre à ces questions en l’absence des données, mais il se pourrait que la confidentialité invoquée vise surtout à masquer l’ampleur des freins à l’un des dispositifs phares du quinquennat. Pour mémoire, on se souvient que plus de 500 000 comptes pénibilité avaient été ouverts par les entreprises au titre de l’année 2015, sur les facteurs de risque entrés en vigueur au 1er janvier de cette année-là[[Milieu hyperbare, travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, travail répétitif.]].
POUR UNE DÉFINITION SCIENTIFIQUE DES PERTURBATEURS ENDOCRINIENS
Ils en sont à leur deuxième essai. Dans une lettre ouverte publiée le 7 avril, jour où avait lieu une discussion sur la définition des perturbateurs endocriniens entre la Commission européenne et les Etats membres, une quinzaine de scientifiques européens et américains ont interpellé les ministres de la Santé, de l’Environnement et de l’Agriculture ainsi que le commissaire à la Santé. Leur objectif : obtenir une définition élaborée sur des critères scientifiques et la suppression de dérogations prévues dans le texte actuellement débattu, concernant des biocides et pesticides. Sur ce sujet, des scientifiques se sont déjà élevés contre le lobbying des industriels dans une tribune du Monde le 29 novembre 2016, sans succès.
Les critères permettant d’identifier réglementairement ces perturbateurs endocriniens auraient dû être établis en 2013. A défaut, leur liste ne peut pas être officiellement établie. Pire, lors de négociations en février, des produits biocides, conçus pour agir sur le système hormonal de nuisibles, donc des perturbateurs endocriniens avérés, ont été retirés de la définition proposée par la Commission.
Pas de définition, pas d’interdiction
Pour certains scientifiques, c’est le monde à l’envers. « Depuis 2009, la réglementation prévoit les modalités de gestion de ces pesticides et leur interdiction s’ils contiennent des substances cancérigènes ou des perturbateurs endocriniens... Mais sans avoir fourni la définition légale de ces substances », regrette Rémy Slama, signataire de la lettre ouverte, épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et président du conseil scientifique du Programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens, dans une interview au Monde.
Sans définition ni liste officielle, il est impossible de prendre des décisions en matière d’interdiction et de prévention. De 1 % à 20 % des pesticides actuels pourraient être concernés, selon la définition adoptée. « Certaines études d’épidémiologie estiment que le coût économique induit par les pathologies dues à ces substances chimiques est de l’ordre de 100 à 200 milliards d’euros chaque année dans l’Union européenne », précise Rémy Slama.
Si les perturbateurs endocriniens peuvent affecter la santé des consommateurs de produits qui en contiennent, les risques sont encore plus élevés pour ceux qui les produisent ou les utilisent au quotidien : agriculteurs, coiffeurs, agents de nettoyage, ouvriers dans la production d’objets ou d’emballages plastifiés, personnels de l’industrie pharmaceutique... Ces travailleurs sont tous les jours contaminés par voie cutanée ou respiratoire. Avec comme conséquence possible des problèmes de fertilité, voire le développement de cancers.
UNE CARTE DES SUICIDES LIÉS AU TRAVAIL
Un salarié de l’usine Renault de Sandouville, près du Havre, a tenté de mettre fin à ses jours sur le site, le 3 avril. Ses collègues ont réussi à lui sauver la vie. Le 10 mars, c’était un agent de la SNCF, délégué du personnel Sud Rail, qui se jetait sous un train, à la gare Paris Saint-Lazare. En réaction, l’union syndicale Solidaires a décidé de créer une carte des suicides, car, dénonce l’organisation dans un communiqué, « partout les directions d’entreprise cherchent, au contraire, à rendre invisibles les suicides liés au travail ». Pour lutter contre cette invisibilité, Solidaires invite les salariés à signaler tout suicide lié au travail, via un formulaire en ligne.