Vers des consultations à la va-vite des CHSCT ?
Un récent décret d’application de la loi sur la sécurisation de l’emploi, fixant les délais impartis aux comités d’entreprise pour rendre leurs avis, semble limiter en même temps le délai prévu pour certaines consultations des CHSCT. Commentaires.
Les CHSCT vont-ils voir leurs marges de manœuvre réduites par la loi dite de sécurisation de l’emploi (LSE) ? Votée le 14 juin 2013, cette loi a déjà encadré les délais de consultation des comités d’entreprise (CE) et des CHSCT, et ceux s’appliquant à d’éventuelles expertises demandées par ces instances, en cas de restructurations avec compression d’effectifs ou lorsqu’une instance de coordination des CHSCT est mise en place1. Mais un décret d’application de cette loi, publié le 27 décembre 2013, semble vouloir aller plus loin. Ce texte fixe en effet un délai au CE pour rendre ses avis, concernant tous les motifs de consultation de cette instance autres que les restructurations : introduction d’une nouvelle technologie, projet important modifiant les conditions d’emploi et de travail… Surtout, il prévoit que le CHSCT lui-même, au cas où il serait consulté, devra remettre son avis « au plus tard sept jours avant l’expiration du délai » accordé au CE pour rendre le sien.
Le délai imparti au CE varie selon les situations. Selon le décret, il est d’un mois pour la seule consultation du CE. Il passe à deux mois en cas d’intervention « d’un expert », à trois mois en cas de saisine d’un ou de plusieurs CHSCT et à quatre mois si une instance de coordination des CHSCT est mise en place. A défaut d’offrir plus de précisions, la rédaction du texte laisse place à diverses interprétations. Mais, à première vue, un CHSCT disposerait désormais de moins de trois mois pour rendre un avis, s’il est consulté conjointement au CE. Une nouveauté. Avant l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation de l’emploi et sa transposition dans la loi LSE, aucun délai légal n’était imposé au CHSCT pour rendre son avis, quelque soit le sujet sur lequel il était consulté.
L’esprit de l’ANI
« Cette remise d’avis du CHSCT sept jours avant la fin de la consultation du CE est tout à fait cohérente avec l’esprit de l’ANI et de la loi », déclare pour sa part Henri Forest, secrétaire confédéral CFDT, organisation signataire de l’ANI. Par ailleurs, selon ce dernier, cette obligation ne concernerait que les situations où le CE a saisi le CHSCT pour avis et non celles où le CHSCT doit être consulté à part entière. La portée réelle de cette nouvelle obligation reste à déterminer, mais elle suscite néanmoins des critiques.
« Ces délais préfix sont contradictoires avec le principe de “ l’effet utile ” de toute consultation », souligne ainsi Laurent Milet, rédacteur en chef de la Revue pratique de droit social. Il conseille de négocier pour élargir les délais quand cela s’avère nécessaire. Une possibilité prévue par le décret, via un accord collectif. Un tel accord peut apparemment être conclu pour chaque consultation, au coup par coup, ou pour toutes les consultations du mandat en cours.
Le point de départ du délai de consultation tel que défini par le décret, à savoir « la communication par l’employeur des informations prévues par le Code du travail pour la consultation », pose également question. « Le CHSCT va devoir anticiper et réclamer une réunion d’information zéro, pour avoir des informations précises sur l’impact du projet sur les conditions de travail des salariés », déclare Jean-Baptiste Hervé de Syndex. Informé tardivement, un CHSCT d’une société d’assurance a récemment obtenu de la direction une prolongation des délais, écrit le cabinet Alpha dans un document sur ses premiers retours d’expérience de la LSE. Par ailleurs, le CHSCT peut saisir le tribunal de grande instance en référé s’il juge l’information insuffisante, en demandant éventuellement une prolongation du délai pour rendre son avis.
« Si la direction fait de la rétention d’informations, les CHSCT pourront donner un avis sur les orientations pour ne pas bloquer le projet et se prononcer ultérieurement sur les aspects pour lesquels ils ne disposent pas encore de données suffisantes », suggère François Cochet du cabinet Secafi. « Cela peut être prévu par accord », ajoute-t-il. Aux élus des CHSCT donc de bien se coordonner avec ceux du CE.
Des expertises restreintes ?
Le cadrage apporté par le décret de décembre va aussi avoir un impact sur les expertises diligentées par le CHSCT, notamment pour tout projet « important » modifiant les conditions de travail. Celles-ci sont déjà encadrées par des délais propres : 30 à 45 jours, ou 60 jours en cas d’instance de coordination. Elles devront être réalisées dans le délai désormais imparti au CHSCT ou à l’instance de coordination pour rendre leur avis, en cas de consultation conjointe avec le CE : entre trois mois et quatre mois. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes, déjà évoqués pour les restructurations. « Le législateur n’a pas pris en compte la nécessité et le temps d’une phase d’instruction de la demande, prévue pourtant par l’agrément de l’expert », écrit le cabinet Isast. Daniel Sanchis, du cabinet Degest, partage cette inquiétude car, d’après son expérience, les CHSCT sont rarement informés simultanément aux CE, les directions tardant souvent à donner les informations nécessaires ou à signer le devis de l’expert. Sachant qu’un certain temps est nécessaire aux élus pour s’approprier l’expertise.
Reste à déterminer ce qu’il se passe lorsqu’un avis n’est pas émis au terme du délai. En ce qui concerne le CE, le décret est clair : l’avis sera réputé négatif. Mais pour le CHSCT ? Rien n’est indiqué. S’il n’a pas l’avis du CHSCT en temps et en heure, et si ce dernier n’est pas réputé négatif, comment le CE peut-il dès lors motiver le sien ? Le ministère du Travail, interrogé, n’a pu répondre aux questions posées sur les divers points obscurs de la nouvelle législation. Face à un certain flou, des observateurs prévoient déjà des contentieux. Des clarifications viendront donc avec la jurisprudence.
- « Loi Sapin : délais serrés pour l'expertise CHSCT », par Martine Rossard, Santé & Travail n° 83, juillet 2013.