Contaminations au travail : les résultats surprenants de l’Institut Pasteur
Publiée en mars dernier, l’étude ComCor de l’Institut Pasteur alerte sur les modalités de transmission du coronavirus au travail. Mais certaines de ses conclusions sur les catégories professionnelles les plus à risque sont à prendre avec précaution, insistent les auteurs.
Seuls 45 % des individus atteints par le Covid-19 connaissent la personne qui les a infectés. Ce chiffre, établi par l’Institut Pasteur dans son étude ComCor1
publiée en mars dernier, témoigne à lui seul de la difficulté à identifier précisément les modes de transmission du virus. Quand la source de contamination est connue, elle se situe prioritairement au domicile (42 % des cas), dans la famille élargie (21 %) ou parmi les amis (11 %). 15 % des infections, en revanche, ont lieu dans un contexte professionnel.
Pour mieux comprendre les lieux et circonstances des contaminations, l’Institut Pasteur a interrogé entre le 1er octobre 2020 et le 31 janvier 2021 des personnes atteintes du Covid-19, hors personnels soignants, et recueilli 77 200 réponses. L’étude confirme les fragilités de la prévention contre le SARS-CoV-2 au travail : « En milieu professionnel, le bureau partagé est le lieu de contamination dans 35 % des cas. » D’autres espaces liés au travail sont identifiés, comme les cafétérias et, de manière décroissante dans le temps, les lieux de restauration. Logiquement, les repas ainsi que les réunions de travail constituent les deux principales activités à l’origine de contaminations, devant les « services aux clients ».
Symptomatique mais à son poste
Autre chiffre particulièrement déroutant : la personne à l’origine de la contamination au travail était symptomatique dans 46 % des cas. Soit davantage que lors d’infections intrafamiliales (40 % des cas) ou entre amis (24 %). L’étude reste muette quant aux raisons qui peuvent conduire des personnes à se rendre au travail malgré leurs symptômes. « Soit les personnes disent “ j’ai quelque chose d’important à faire au bureau et donc je mettrai un masque ”, soit il y a une pression de l’employeur », commente le directeur de l'Unité d'épidémiologie des maladies émergentes à l'Institut Pasteur, Arnaud Fontanet, joint par Santé et Travail. En tout état de cause, les entreprises peinent à relayer les messages officiels. Invitant les salariés à l’« autosurveillance », le protocole du gouvernement à destination des entreprises rappelle pourtant que « toute personne présentant des symptômes ou qualifiée de cas contact doit être invitée par son employeur à ne pas se rendre sur son lieu de travail ».
Depuis le début de la crise sanitaire subsiste aussi une autre interrogation : hors personnels soignants, quels sont les métiers sont les plus exposés au virus ? ComCor apporte à ce sujet des résultats surprenants. Parmi « les catégories professionnelles les plus à risque » figurent notamment divers profils de cadres issus de la fonction publique et des entreprises privées ainsi que les chefs d’entreprise de 10 salariés. S’y ajoutent les « professions intermédiaires de la santé et du travail social » et les chauffeurs. A l’inverse, on trouve dans les professions les « moins à risque » les catégories suivantes : employés civils et professions intermédiaires administratives de la fonction publique, employés et personnels administratifs et commerciaux des entreprises, salariés des services directs aux particuliers, policiers et militaires, professeurs des écoles et instituteurs, agriculteurs.
Prudence de mise
Ce surrisque associé aux cadres – surprenant au regard de leur exposition supposée – doit toutefois être interprété avec prudence, en raison des biais statistiques propres à l’étude. Les répondants sont en effet plus jeunes et d’un niveau d’éducation plus élevé que l’ensemble de la population infectée en France. Un biais lié aux modalités de l’enquête, qui supposait de remplir un long questionnaire accessible uniquement depuis un compte en ligne (sur Ameli.fr) et à la suite d’une sollicitation par courriel. « La surreprésentation des professions intellectuelles supérieures aurait dû diminuer l’estimation du risque pour ces catégories. Le fait qu’on trouve un risque augmenté dans les résultats chez les cadres renforce donc la plausibilité d’un surrisque réel », convient Arnaud Fontanet.
Faute d’autres publications allant dans le même sens, il juge ces résultats « prématurés ». Ce que confirme l’Institut Pasteur dans un dossier « critique » d’analyse de l’étude, publié jeudi 20 avril : « Il est préférable de rester extrêmement prudents sur les enseignements que ComCor peut fournir vis-à-vis de la question des catégories professionnelles à risque. »
Le 15 avril dernier, le gouvernement a en tout cas suivi ses propres critères pour définir les professionnels de plus de 55 ans prioritaires pour accéder aux centres de vaccination : policiers, gendarmes, surveillants de prison, enseignants et personnels de l’Education nationale, professionnels de la petite enfance, de la protection judiciaire de la jeunesse et de la protection de l’enfance. Après consultation des partenaires sociaux le mardi 20 avril, l’exécutif a décidé d’y ajouter de nouvelles familles de métiers issus du secteur privé : conducteurs et chauffeurs, contrôleurs des transports publics, agents d’entretien, de gardiennage et de sécurité, employés du commerce d’alimentation, professionnels des pompes funèbres et ouvriers non qualifiés de l’industrie agroalimentaire. Des métiers non « télétravaillables » qui rassemblent 400 000 travailleurs essentiels de la « deuxième ligne », également éprouvée par la crise sanitaire.
- 1Etude des facteurs sociodémographiques, comportements et pratiques associés à l’infection par le SARS-CoV-2.