Le coronavirus échappe-t-il au Code du travail ?
Le ministère du Travail a précisé cet été dans un décret le cadre réglementaire sur la prévention du risque biologique applicable face au SARS-CoV-2. Un cadre jugé trop restrictif et dérogatoire à la loi par certains syndicats, notamment à l’Inspection du travail.
A l’heure du reflux annoncé du télétravail et de la reprise de l’activité sur site dans nombre d’entreprises, les salariés sont susceptibles d’être davantage exposés au coronavirus sur leur lieu de travail. Dès lors, les dispositions du Code du travail relatives au risque biologique doivent-elles s’appliquer ? Les quelques juges qui ont dû se prononcer sur le sujet ont pu apporter des réponses contradictoires à cette question. En temps normal, cette réglementation s’applique en effet aux entreprises dont la nature de l’activité peut conduire à exposer des travailleurs à des agents biologiques. Une définition qui peut concerner, dans le contexte de la pandémie, des entreprises habituellement non assujetties à ces mesures. Ou pas.
Une réglementation aménagée
Publié au cœur de l’été, le 16 juillet, un décret est venu préciser la règlementation applicable. « Il a pour objet, d’une part, de prévenir au mieux l’exposition des travailleurs au SARS-CoV-2 et, d’autre part, d’adapter les règles afin qu’elles soient proportionnées et applicables dans les établissements normalement exclus du champ d’application de la réglementation sur la prévention des risques biologiques », précise la direction générale du Travail (DGT), au ministère du même nom. En somme, un décret permettant de déroger à certaines mesures prévues par le Code du travail dès lors qu’il s’agit du SARS-CoV-2. Soumis pour avis aux partenaires sociaux, dans le cadre du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct), le texte n’a pas convaincu les syndicats de salariés. « La majorité des organisations syndicales ont considéré que ce décret n’est pas suffisant pour protéger les salariés. Nous aurions souhaité qu’il reprenne au moins les dispositions du Code du travail », précise Jean-Michel Poupon, représentant de la CGT au Coct.
Le SARS-CoV-2 a été pourtant rattaché au groupe 3, c’est-à-dire celui des agents biologiques susceptibles de provoquer une maladie grave et constituant un danger sérieux pour les travailleurs. « Il existe désormais deux réglementations. L’une généraliste pour toute activité susceptible d’exposer les travailleurs à des agents biologiques. Et la seconde, destinée à alléger les obligations des employeurs dans le cadre de la pandémie de SARS-CoV-2 », dénonce François Stehly, ancien inspecteur du travail aujourd’hui avocat. Selon ce dernier, qui a expertisé le texte avec une élue du syndicat CGT des inspecteurs du travail, le décret amoindrit la protection des salariés tout en protégeant les employeurs d’éventuelles poursuites pénales. Alertés, la CGT et Solidaires envisageraient même de déposer un recours devant le Conseil d’Etat.
L’évaluation des risques comme arbitre
« Une entreprise qui ne prendrait pas les dispositions nécessaires pour protéger ses salariés contre le risque lié à la Covid 19 pourrait se voir exposée à des sanctions, les inspecteurs du travail pouvant relever ces manquements par procès-verbal », défend pour sa part la DGT. Une analyse que ne partagent pas les acteurs syndicaux, notamment à l’Inspection du travail. S’agissant des mesures applicables quelle que soit l’activité de l’entreprise, le décret cite celles concernant la formation à la sécurité des salariés : précautions à prendre pour éviter l’exposition, utilisation des équipements de protection individuelle, procédure à suivre en cas d’accident… En revanche, d’autres dispositions prévues par le Code du travail face au risque biologique ne seront plus obligatoires si « les résultats de l’évaluation des risques en indiquent l’inutilité », comme le stipule le texte publié au Journal Officiel. « Il suffit qu’un employeur indique que l’application des textes est inutile », s’inquiète François Stehly.
Questionnée sur le sujet, la DGT précise que l’employeur devra « démontrer » que les mesures mises en place sont suffisantes pour protéger les travailleurs, en se référant notamment au protocole national ou aux fiches métiers élaborés par le ministère du Travail. Le décret fait lui aussi référence à ces recommandations. Mais la DGT indique aussi que celles-ci n’en deviennent pas pour autant obligatoires. « En l’absence de précision des règles de santé-sécurité, ce sont les principes généraux de prévention qui s’appliquent, pointe Gérald Le Corre pour le syndicat CGT des inspecteurs du travail. Or, le non-respect de ces principes généraux ne constitue pas une infraction. » De l’avis des syndicalistes de la profession, les outils dont disposent les agents de contrôle pour protéger les salariés du Sars-CoV-2 demeurent toujours limités, même avec ce décret. « Nous ne disposons toujours pas de moyens coercitifs pour la gestion de cette crise », déplore Camille Planchenault pour le syndicat Sud travail.
Pas de suivi médical renforcé
Autre dérogation à la règlementation sur les risques biologiques, les salariés susceptibles d’être exposés au coronavirus ne bénéficieront pas d’un suivi médical individuel renforcé (SIR). Un détail qui ne devrait pas avoir d’incidence sur l’action de la médecine du travail. « La multiplication des visites médicales ne permet pas quoiqu’il en soit de réduire les risques, observe Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST). Nous avons un rôle à jouer et nous allons rester très vigilants. A titre d’exemple, je viens de recommander à une entreprise de ne pas réouvrir une cantine exiguë et mal aérée. » Une entreprise qui ne respecterait pas les préconisations d’un médecin du travail pourrait voir sa responsabilité engagée. A moins qu’elle ne trouve dans le récent décret des arguments pour s’y soustraire.
« Covid : les failles de la prévention en entreprise », par Joëlle Maraschin, Santé & Travail n° 115, juillet 2021.