Coronavirus : joute européenne sur le niveau de protection
Les 27 s’apprêtent à classer le Sars Cov-2 dans l’un des quatre groupes d’agents biologiques pathogènes déterminant le niveau de protection des travailleurs. Commission et employeurs prônent un classement inférieur à celui exigé par les organisations syndicales.
Une réunion des représentants des 27 Etats membres se tient ce jeudi 14 mai à l’initiative de la Commission européenne à propos du Sars Cov-2, responsable de la pandémie de Covid-19. Il s’agit d’inclure ce virus dans la liste des agents biologiques pathogènes pour lesquels la directive 2000/54/EC impose de prendre des mesures de protection des travailleurs, en fonction de leur niveau de dangerosité. Tout l’enjeu de cette réunion de comitologie est de déterminer dans quel groupe de dangerosité doit être classé le coronavirus, sur une échelle de risque croissant allant de 1 à 4.
Lors d’une précédente réunion, le 27 avril à Luxembourg, la Commission et les employeurs avaient opté pour un classement dans le groupe 3, celui des agents pouvant provoquer une maladie grave chez l’homme, constituer un danger sérieux pour les travailleurs, présenter un risque de propagation dans la collectivité et pour lequel il existe généralement une prophylaxie ou un traitement efficace. Les syndicats européens s’étaient, quant à eux, prononcés pour le classement dans le groupe 4. Celui réservé aux agents qui provoquent des maladies graves chez l’homme – tel le virus Ebola –, constituent un danger sérieux pour les travailleurs, peuvent présenter un risque élevé de propagation dans la collectivité et pour lequel il n’existe généralement pas une prophylaxie ou un traitement efficace. Une position logique pour les centrales ouvrières des 27 au vu du bilan de la pandémie en Europe, des mesures exceptionnelles prises au niveau mondial avec un arrêt généralisé de l’économie et de la nécessité de protéger la santé et la sécurité des salariés, inscrite dans les traités européens.
« Renforcement urgent de la prévention »
La Confédération européenne des syndicats (CES) a officiellement pris position pour un classement en niveau 4 du virus Sars Cov-2. Dans un courrier du 29 avril dernier, adressé à Nicolas Schmit, commissaire en charge de l’Emploi et des Droits sociaux, son secrétaire général, Luca Visentini, plaide pour « le renforcement urgent de la prévention sur les lieux de travail face à l’actuelle pandémie ». Il considère qu’un tel classement « n’entrave pas le retour sur les lieux de travail mais implique la prise en compte par les employeurs des informations pertinentes pour l’évaluation des risques ». Une note jointe au courrier expose que ce choix s’impose aujourd’hui en l’absence de tout vaccin ou traitement et qu’un classement en groupe 3 pourrait facilement être contesté devant la Cour de justice européenne. Sans compter qu’il s’agirait d’un signal « politiquement désastreux », susceptible d’alimenter l’euroscepticisme. Comment pourrait-on justifier l’écart entre les mesures draconiennes prises pour protéger la population en général et une protection plus faible pour les travailleurs alors qu’on craint un rebond de l’épidémie, s’interroge la CES dans son courrier au commissaire européen.
Le travail, « vecteur essentiel dans la propagation du virus »
Laurent Vogel, chercheur au département santé, sécurité et conditions de travail à l’Institut syndical européen, à Bruxelles, a été mandaté comme expert par le groupe des travailleurs pour la réunion consultative de Luxembourg du 27 avril. Il a lui aussi lancé l’alerte dans un courrier adressé le 10 mai à la ministre du Travail de son pays, la Belgique. Pour ce spécialiste, le travail se caractérise « comme un vecteur essentiel dans la propagation du virus et probablement comme l’élément central des inégalités sociales de santé liées à la pandémie ». Il estime qu’une classification du Sars Cov-2 dans le groupe 3 reviendrait à considérer que, sur le lieu de travail, le risque biologique se situerait seulement à un niveau intermédiaire. Cela, ajoute-t-il, « pourrait être envisagé comme une forme de discrimination indirecte » à l’égard des salariés et surtout des salariées des activités connaissant les niveaux de risque les plus élevés (santé, services à la personne, grande distribution, petits commerces…).
Et Laurent Vogel d’énumérer les arguments en faveur de la classification dans le groupe 4 : le virus provoque des maladies graves et mortelles, même si ce n’est pas systématique ; le risque de propagation est élevé, même en présence de mesures barrières ou de distanciation ; enfin, à ce jour, aucun traitement ou vaccin n’est disponible. Il s’appuie notamment sur les travaux du Pr Jean-Pierre Unger, du département de santé publique de l’institut de médecine tropicale de l’université d’Anvers, sur les différentes maladies contagieuses représentant un risque en Europe. Ce dernier se prononce pour la classification en groupe 4 en raison de l’absence de traitement, de la forte mortalité, de la contagion tant dans des secteurs économiques essentiels que dans d’autres qui le sont moins. Selon cet expert, une protection effective des travailleurs peut non seulement améliorer la santé au travail, mais aussi activer un mécanisme clé pour réduire la transmission du virus ainsi que la morbidité et la mortalité dans la population générale.
En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) estime pour sa part que le virus « pourrait être considéré comme un agent pathogène de groupe 3 ou supérieur ». Nous n’avons pas réussi à joindre au ministère du Travail un interlocuteur en mesure de nous renseigner sur la position du gouvernement français.