Coup de chaud sur les conditions de travail
La canicule des derniers jours l’a montré. Des températures extrêmement élevées constituent un risque pour la santé des salariés, jusqu’à l’accident du travail mortel. Malgré des rapports qui alertent, tant en France qu’en Europe, les autorités peinent à prendre la mesure des conséquences du réchauffement climatique sur l’activité professionnelle.
Hier, mercredi 20 juillet, Santé publique France a annoncé que deux accidents du travail mortels, « en lien possible avec la chaleur », lui ont été signalés par l’Inspection médicale du travail. Le premier a eu lieu en Occitanie au début de la canicule, et le second quelques jours plus tard, en Bretagne, quand cette région était en vigilance rouge. L’agence n’a pas donné plus de précisions sur les circonstances de ces décès. A Madrid, la semaine dernière, alors que la température dépassait largement les 40 °C, deux personnes sont mortes sur leur lieu de travail : un employé d’une cinquantaine d'années qui a succombé à un malaise, dans un entrepôt et un balayeur de la ville de 60 ans, terrassé dans la rue par un coup de chaleur.
Ce n’est pas la première fois que des épisodes de chaleurs extrêmes engendrés par le changement climatique tuent au travail. Entre le 1er juin et le 15 septembre 2020, période pendant laquelle le Plan national canicule a été activé dans l’Hexagone, il y a eu, selon Santé publique France, au moins douze accidents du travail mortels « en lien possible avec la chaleur », « dont cinq en lien avec une activité d’agriculture ou de sylviculture ». En juin dernier, la Fédération nationale de la construction et du bois (FNCB) de la CFDT, qui lançait auprès des salariés du BTP sa campagne annuelle d’information « Fortes chaleurs et canicule », a rappelé que des décès dus au stress thermique sont recensés sur les chantiers chaque année.
Un risque chimique multiplié
Le Code du travail ne définit aucune température limite au-delà de laquelle un salarié pourrait faire valoir son droit de retrait. Mais l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) considère qu’au-delà de 30 °C pour un salarié sédentaire, et 28 °C pour un travail nécessitant une activité physique, il y a un risque. L’étude sur l’impact des vagues de chaleur pour la santé et la sécurité des travailleurs, publiée en 2021 par l’lnstitut syndical européen (Etui), le montre : « L’augmentation pendant les épisodes de chaleur des admissions mortelles et non mortelles à l’hôpital est essentiellement liée à des expositions professionnelles », souligne son autrice, Claudia Narocki. En 2018 déjà, dans une expertise collective, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) alertait : « Tous les risques professionnels, à l’exception des risques liés au bruit et aux rayonnements artificiels, sont et seront affectés par le changement climatique et les modifications de l’environnement. »
Le stress thermique a des effets directs désormais bien connus : malaises, déshydratation, coups de chaleur. Mais il majore aussi « les risques chimiques liés à l’inhalation de substances toxiques qui, sous l’effet de la chaleur, deviennent encore plus volatiles », précise Rémi Poirier, ingénieur du génie sanitaire à l’Anses et coordinateur de l’expertise collective. C’est également le cas pour « les risques liés aux agents biologiques », notamment pour les personnes travaillant en milieu naturel ou en contact avec des animaux, car le changement climatique favorise le développement de vecteurs de maladies infectieuses (moustiques, tiques, etc.). « On constate aussi une augmentation des risques liés à des aléas climatiques extrêmes, comme avec les feux de forêt en Gironde, ajoute Rémi Poirier. Leur ampleur et leur fréquence soumettent les pompiers à une pénibilité accrue, et à des rythmes de travail inhabituels. »
Exacerbation des risques psychosociaux
Les températures très élevées, surtout lorsqu’elles sont couplées à un haut degré d’humidité, ont en outre des conséquences indirectes : la baisse de vigilance lié notamment au déficit de récupération la nuit, à cause de la chaleur nocturne, et la fatigue accumulée majorent le risque d’accidents du travail. Rémi Poirier attire enfin l’attention sur « l’exacerbation des risques psychosociaux » : l’inconfort thermique ressenti provoque « une multiplication des tensions, avec l’encadrement, le public ou les collègues. Et si la vague de chaleur se prolonge, la fatigue peut altérer la tolérance et amplifier ces tensions ».
Tous ces effets concernent en priorité les travaux réalisés à l’extérieur, pénibles physiquement et/ou nécessitant le port d’équipement de protection (agriculture, construction, BTP…). « Mais il y a beaucoup de secteurs a priori peu impactés, comme les services, pour lesquels on doit s’interroger, indique Rémi Poirier. Est-ce que les bureaux climatisés aujourd’hui pourront continuer à l’être, compte-tenu des contraintes techniques liées au réchauffement climatique et des pressions énergétiques ? »
Les pouvoirs publics dans le déni
Selon Claudia Narocki, aucun pays de l'Union européenne n’a pris la mesure de l'impact des hausses de température sur la santé, la sécurité et la productivité de la population active. « De nombreux travailleurs souffrent de l'inaction des employeurs, tandis que les autorités ont tendance à continuer de fermer les yeux sur l'exposition extrême pendant les vagues de chaleur », déplore la sociologue.
C’est la raison pour laquelle la Confédération européenne des syndicats (CES) a remis, dès 2020, une résolution à la Commission européenne, lui demandant d’adopter un nouveau cadre législatif qui prenne en compte le changement climatique : « Les canicules et vagues de chaleur doivent être considérées comme un risque professionnel, afin que les entreprises soient contraintes d’élaborer, avec la participation des travailleurs, des mesures concrètes de protection et de financer celles-ci », explique Ignacio Doreste, conseiller de la CES.
La Commission faisant la sourde oreille, la CES a rappelé dans un communiqué de presse publié le 25 juillet « l’urgence d’une législation européenne sur les températures maximales de travail afin de protéger les travailleurs des conséquences du changement climatique ». En effet, seuls quelques pays de l’Union – dont l’Espagne, la Belgique ou la Hongrie – ont fixé des valeurs limites pour réduire l’exposition à la chaleur pendant le travail. Et celles-ci sont disparates d’un Etat à l’autre. D’où la nécessité d’une directive pour combler ces écarts et couvrir les pays qui n’ont pas légiféré en la matière, dont la France.
De son côté, chaque année, la FNCB-CFDT continue d’interpeller les chambres patronales du BTP afin de faire reconnaître par un accord de branche, les fortes chaleurs et la canicule comme un critère de pénibilité et de définir un cadre clair pour le travail, dès que la température atteint 30 °C à l'ombre. Demande qui reste tout autant lettre morte.