Coup de pouce des juges à la prévention
En vertu de l'obligation de sécurité de résultat, la Cour de cassation a suspendu le 5 mars la réorganisation d'un atelier de la Snecma "de nature à compromettre la santé et la sécurité des salariés". Une décision qui renforce le rôle du CHSCT.
Et de sept ! On ne compte plus les déclinaisons de l'obligation de sécurité de résultat pesant sur l'employeur. Ce concept, forgé de toutes pièces par la Cour de cassation en 2002, n'a cessé depuis lors de se démultiplier pour embrasser bientôt l'ensemble des questions liées à la santé au travail. Pour l'heure, le dernier acte - l'arrêt Snecma du 5 mars - constitue l'apogée d'une évolution fondamentale, marquée par l'extrême détermination des tribunaux, et en premier lieu de la Cour suprême. Avec cette décision qui fera date, les juges sont désormais autorisés à suspendre la mise en oeuvre d'une organisation du travail "de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés". L'employeur n'est plus maître en sa demeure. L'organisation du travail, bastion patronal réputé intouchable, inhérent au pouvoir de direction, doit s'incliner face à des principes supérieurs : la santé et la sécurité.
Ire des employeurs
L'affaire concernait la centrale énergie de l'usine Snecma de Gennevilliers, site classé Seveso, donc à risque. Une nouvelle organisation du travail y était mise en place, malgré l'avis négatif du CHSCT, conforté par son expert et doublé de l'avis lui aussi défavorable du comité d'établissement. Saisie initialement par le syndicat CGT, la justice allait déplorer un accroissement des contraintes imposées aux salariés du fait de l'augmentation du nombre des nuits et des week-ends travaillés, une aggravation du risque lié au travail isolé, l'insuffisance du dispositif d'assistance, la réduction du nombre de salariés en service de jour... Autant d'éléments de nature délétère, justifiant, selon les magistrats, la suspension de la mise en oeuvre de cette organisation du travail. Rien de moins.
L'arrêt a fait grand bruit et a provoqué l'ire des employeurs, peu friands de revoir leur copie, surtout à l'invitation expresse du juge et, qui plus est, suite à l'argumentation d'un CHSCT et de son expert. On ne badine pas avec la santé et la sécurité, désormais au coeur de l'organisation du travail : tel est le message de l'arrêt Snecma, qui souligne implicitement le rôle fondamental du CHSCT et distingue en ultime recours le juge, capable de stopper l'employeur dans sa course pour davantage de rentabilité économique au détriment de la santé.
Virage à 180 degrés
Pour en arriver là, l'obligation de sécurité de résultat incombant à l'employeur a parcouru beaucoup de chemin depuis sa naissance avec les arrêts amiante du 28 février 2002. En six ans, elle s'est considérablement transformée, migrant d'un objectif de réparation des victimes de l'amiante à l'effectivité de la prévention des risques. De la réparation à la prévention, de l'aval à l'amont, la Cour de cassation a opéré un virage à 180 degrés, ne négligeant aucun domaine de la santé et de la sécurité des salariés ni aucune phase de la vie au travail.
Une évolution majeure imputable, pour une large part, au droit communautaire, plus précisément à la directive n° 89/391 du 12 juin 1989, dont les formules fortes ont à l'évidence inspiré les magistrats dans l'affaire Snecma. A commencer par son préambule : "L'amélioration de la sécurité, de l'hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique." L'article 5-1 dispose que "l'employeur est obligé d'assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail", tandis que l'article 6-1 enfonce le clou en lui imposant de prendre "les mesures nécessaires pour la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, y compris les activités de prévention des risques professionnels, d'information et de formation ainsi que la mise en place d'une organisation et de moyens nécessaires".
Ces multiples dispositions et prescriptions à destination de l'employeur, que le juge français résume dans le concept d'"obligation de sécurité de résultat", marquent aussi le passage de l'individuel au collectif. Si la santé au travail est toujours analysée dans son volet individuel (maladie professionnelle, accident du travail, aptitude...), elle doit également être appréhendée dans son volet collectif. De ce point de vue, en examinant au plus près l'organisation du travail à travers le prisme de la santé, l'arrêt Snecma est emblématique de cette deuxième évolution.
En toile de fond, c'est évidemment le CHSCT qui devient l'interlocuteur privilégié. Institution technique mais aussi politique et stratégique, il dispose de tous les moyens pour peser sur les décisions de l'employeur dans le registre qui est le sien : les conditions de travail. Passant au crible des sujets aussi divers que l'évaluation des salariés, les conditions de restauration, le stress, le harcèlement moral et, depuis l'arrêt Snecma, l'organisation du travail, le CHSCT doit avoir l'oreille de l'employeur. A défaut, il aura celle du juge.