Coup de projecteur sur les dures conditions de travail du recyclage
Elise Lucet s’attaque aux usines de traitement des déchets dans le prochain numéro du magazine « Cash investigation », jeudi 11 novembre sur France 2. Grégoire Huet, infiltré dans un centre de tri, et Claire Tesson, réalisatrice du documentaire « Déchets, la grande illusion » nous dévoilent la pénibilité du travail.
Qu’est-ce qui vous a conduit à travailler en immersion chez Paprec, entreprise de collecte et de recyclage ?
Claire Tesson : Nous avons été contactés par des salariés de Paprec qui faisaient état de conditions de travail difficiles. Une vidéo prise chez ce leader français du recyclage était notre point de départ. Elle montrait des salariés travaillant dans des conditions dangereuses, avec peu de protections : ils ne portent pas de casque alors qu’un engin avec des griffes métalliques se balance au-dessus de leurs têtes ; ils se tiennent debout sur un tapis roulant de tri sur lequel sont déversés directement des déchets ou encore au fond d’une cuve, dans un nuage de poussière. La seule solution était d’aller voir par nous-même la réalité du terrain avec un tournage en caméra cachée.
Lors de vos trois semaines d’activité au sein du centre de tri, quelles ont été vos conditions de travail ?
Grégoire Huet : J’ai été immédiatement frappé par la cadence du tri, très rapide. Sur chaque tapis, il faut repérer les emballages et déchets qui ne doivent pas s’y trouver pour les enlever. Pendant deux heures d’affilée, les salariés demeurent hyper vigilants et déplacent des charges lourdes, par exemple lorsqu’il s’agit de carton mouillé. Puis après une pause, il faut recommencer sur un autre tapis où un autre type de plastique ou de papier doit être trié. A la fatigue cognitive, s’ajoute la fatigue physique liée au piétinement devant le tapis de tri, aux mouvements répétitifs des bras, au port de charges et à la préhension des objets. Dès le premier jour, j’avais des douleurs dans le haut du dos, les trapèzes, les cervicales et les mains. Lors des pauses, tout le monde soupire de soulagement. La grande majorité se plaint de douleurs. Après une journée de tri, on se sent cassé physiquement.
Votre reportage montre des salariés souffrant de troubles musculosquelettiques flagrants. Comment les gèrent-ils ?
C. T. : Beaucoup ont des stratégies pour soulager leurs douleurs sur le lieu de travail, en adoptant certaines postures sur le tapis, en faisant des étirements et des massages sur les temps de pause.
G. H. : De nombreux salariés prennent des antidouleurs, comme du Tramadol. Un collègue de retour d’un arrêt-maladie pour une infiltration dans l’épaule continuait de souffrir d’un bras.
Seules protections, les gants sont insuffisants. Pourquoi ?
G. H. : Une seule paire est fournie par semaine quel que soit son état. Mais à raison de 7 heures de tri par jour, les gants s’usent rapidement, se déchirent et se trouent. Les ouvriers m’expliquaient qu’ils ne protégeaient pas les mains d’objets dangereux comme des seringues ou des morceaux de verre.
C. T. : Nous les avons apportés à des ergonomes qui ont évalué leurs indices de protection face à des coupures et des piqûres par exemple. Selon ces experts, les gants étaient de qualité médiocre, ils n’étaient pas totalement adaptés au travail d’agents de tri.
Votre immersion montre également le recours massif à l’intérim.
G. H. : La majorité de mes collègues étaient intérimaires. Ils enchaînaient les contrats d’intérim avec des interruptions. Certains étaient là depuis un an et demi, deux ans ou même trois ans. J’ai demandé à un responsable des ressources humaines si je pourrais décrocher un CDI. Il m’a répondu qu’il faudrait attendre au moins un an et demi, que la file d’attente était longue.
C. T. : Le recours à l’intérim chez Paprec pose question. Est-ce une façon de se délester de la question de la pénibilité ? Car un intérimaire qui est en arrêt maladie à la suite d’une mission dans un centre de tri ne sera pas repris en intérim. Ainsi, ce n’est pas l’entreprise qui gère la pénibilité, mais l’ensemble de la société.