Covid-19 : des accidents du travail rejetés en bloc
La décision de la Sécurité sociale de rejeter automatiquement les demandes de reconnaissance en accidents de travail de cas de Covid-19 est jugée peu conforme au droit par certains acteurs. Pour d’autres, le renvoi vers la déclaration en maladie professionnelle s’impose.
Aucune contamination au Covid-19 ne sera reconnue en accident du travail (AT). Dans une lettre-réseau, que Santé & Travail a pu consulter, la direction des Risques professionnels (DRP) de la Caisse nationale d'assurance maladie a en effet donné pour consigne à ses agents de rejeter systématiquement les déclarations en AT de cas de Covid-19. Cette lettre-réseau a été diffusée le 13 août dernier à tous les directeurs, médecins-conseils et chef de service de l’Assurance maladie-Risques professionnels. Soit au moment de la mise en ligne du site de télédéclaration en maladie professionnelle des cas de Covid-19, dont le contenu et les conditions de lancement ont déjà suscité des réactions.
La lettre-réseau met à disposition des agents des courriers de rejet types. Que le dossier soit complet ou non, il est rejeté et les assurés sont invités à « basculer sur une demande en maladie professionnelle » sur le site de télédéclaration. Les cas des personnes décédées requièrent toutefois une « gestion particulièrement attentionnée » pour ménager les ayants-droit. Un appel téléphonique doit devancer le courrier et les éléments recueillis lors des précédentes investigations sont conservés (questionnaire, certificat médical initial, acte de décès). Pour les agents, qui n’ont commencé à instruire les demandes qu’au 1er octobre dernier, il a fallu traiter les déclarations en AT en priorité et en urgence, afin d’éviter de dépasser le délai légal de trente jours francs, au-delà duquel l’accident du travail est reconnu par défaut. Le nombre de dossiers concernés par ces rejets systématiques n’est pas encore connu, nous a précisé la direction de l’assurance maladie.
Une question de droit
Cette politique a déjà suscité des réactions. Le fait que le rejet ne soit précédé d’aucune enquête pour déterminer si la demande de reconnaissance en AT répond ou non aux critères prévus par la loi pose un problème. « On a une caisse qui se substitue au législateur et qui décide que sa lettre-réseau vient déterminer les qualifications juridiques d’un accident du travail de façon unilatérale, sans aucune base légale », déclare Morane Keim-Bagot, juriste spécialisée en droit de la Sécurité sociale et en santé au travail. La DRP demande également à ses agents instructeurs d'envoyer une lettre informative. « Or ce document ne permet pas aux victimes d'aller au contentieux, parce qu'il ne s'agit pas d'une décision formelle », ajoute la juriste.
Le dispositif est « en effet peu orthodoxe d’un point de vue juridique », confirme Me Michel Ledoux, avocat spécialisé en droit de la Sécurité sociale. Il y perçoit « une improvisation liée à la période exceptionnelle », motivée par une « panique générale pour tenir les délais de traitement des déclarations ». Le Covid-19 échappant aux schémas habituels, « même les organismes de la Sécurité sociale sont obligés de prendre des chemins de traverse », constate l’avocat.
Sollicitée, la DRP défend sa position dans un message : « La contamination virale n’est pas susceptible de constituer un accident du travail, sauf aménagement réglementaire spécifique. » Et précise : « Le dispositif mis en œuvre par l’Assurance maladie-Risques professionnels se décline bien de l’annonce ministérielle et des textes réglementaires parus le 14 septembre dernier. Les conséquences pour la santé de l’exposition professionnelle au Covid-19 peuvent être reconnues et prises en charge au titre des maladies professionnelles. » Elle fait ainsi référence au décret fixant les conditions de reconnaissance en maladies professionnelles des cas de Covid-19… qui ne dit mot des accidents de travail.
Des écueils pratiques
Pour de nombreux observateurs, le cadre prévu pour la reconnaissance en maladie professionnelle est déjà très restrictif. Alors pourquoi fermer la porte des accidents du travail ? « On pourrait envisager le cas d’un infirmier qui reçoit un salarié fiévreux, sans masque, qui lui tousse dessus. Quelques jours plus tard, il apprend que ce salarié est positif au Covid, et lui-même à des symptômes. Il est en mesure, avec le registre de l’infirmerie, de prouver le fait accidentel à une heure précise », imagine Me Ledoux. Hormis ces cas exceptionnels, il serait, selon lui, « très très difficile » de faire reconnaître une contamination au Covid-19 en accident de travail : « Comment prétendre qu'il y a un lien de causalité direct et certain entre le travail et la contamination, dans la mesure où les gens vont au travail en transports en commun, font leurs courses le soir ou le week-end, ont des enfants sont scolarisés ? »
Pour Me Ledoux, la lettre-réseau incite aussi les caisses primaires d’assurance maladie à remplir leur devoir de conseil. « Si les caisses avaient voulu être cyniques, elles auraient instruit les dossiers très rapidement, puis rejeté le caractère professionnel », affirme-t-il. Les victimes auraient alors dû se lancer dans des recours. Et deux ans plus tard, elles auraient découvert qu’il fallait plutôt faire une demande de reconnaissance en maladie professionnelle, à supposer que cette démarche ne soit pas prescrite par ailleurs. L’association des accidentés de la vie (Fnath) partage cet avis. « Il faut être réaliste, la situation est assez inconfortable comme cela pour les victimes, affirme Alain Prunier, vice-président. Maintenant que le tableau existe, malgré tous les défauts qu'il comporte, il faut aller vers la maladie professionnelle, les assurés auront plus de chances d'aboutir à un résultat positif. »