Covid-19 : un impact nuancé sur le travail
Selon une enquête menée par l’observatoire Evrest, la pandémie a des effets ambivalents sur l’activité et la santé des salariés. Si beaucoup ont vu leur travail gagner du sens, un tiers de ceux sur site rencontrent plus de difficultés pour le mener à bien.
Comment la crise sanitaire a-t-elle été vécue au travail ? Si le risque infectieux que représente le Covid-19 pour les salariés a bien fait l’objet de protocoles sanitaires, ses effets collatéraux sur le quotidien des travailleurs ont moins été traités. L’observatoire Evrest (pour Evolutions et relations en santé au travail), un dispositif mis en place depuis 2008 conçu par et pour les médecins du travail, a souhaité se pencher sur la question. « De nombreux médecins du travail s’interrogent sur l’impact de cette crise sanitaire sur les conditions de travail, la santé des salariés et leur vécu », explique Ariane Leroyer, médecin de santé publique et membre de l’équipe nationale Evrest.
Les questionnaires Evrest sont renseignés par les équipes des services de santé au travail (SST) lors des visites périodiques, ainsi que par les salariés eux-mêmes pour une partie auto-questionnaire. Cet auto-questionnaire a récemment été enrichi d’un volet Covid, avec des questions sur le télétravail, le ressenti ou non de sécurité, les difficultés en lien avec les mesures sanitaires, ou encore le sentiment de perte de sens du travail ou à contrario d’un gain d’intérêt.
Le travail sur site plus difficile
Les premiers résultats de ce complément d’enquête ont été présentés au cours d’un webinaire, organisé par l’observatoire ce 19 mars. Ils portent sur l’exploitation d’un peu plus de 2 000 questionnaires recueillis pendant les cinq derniers mois, soit d’octobre à février dernier, par les professionnels de santé au travail participant à Evrest. Leur analyse statistique a été confiée à Maxime Lescurieux, sociologue au Centre d'études de l'emploi et du travail (CEET). La grande majorité des répondants travaillent exclusivement sur site (74 %), quand 20 % le font en alternance avec du télétravail, et 5 % uniquement en télétravail. Quelle que soit leur catégorie socio-professionnelle, 30 % des salariés travaillant sur site déclarent que les mesures sanitaires ont rendu leur travail plus difficile. La nature de ces difficultés n’est pas précisée par les chercheurs. « L’étape suivante consistera à croiser ces chiffres avec les éléments qualitatifs entendus lors des entretiens de santé au travail », précise Laétitia Rollin, médecin du travail au CHU de Rouen et directrice d’Evrest.
Plusieurs données suggèrent une augmentation des risques psychosociaux durant cette crise sanitaire. Pour les travailleurs sur site, le sentiment d’insécurité au travail au regard des mesures sanitaires prises par l’entreprise concerne ainsi 11 % des ouvriers, contre 2 % des cadres. S’agissant de ceux en télétravail, c’est l’insatisfaction concernant les liens avec l’entourage professionnel qui ressort, plus importante pour les cadres que pour les employés. Hypothèse avancée par les chercheurs : les caractéristiques du travail d’encadrement et le management à distance compliqueraient plus encore l’activité des cadres.
A contrario, « il semble d’une manière générale que le sentiment de gain d’intérêt du travail soit plus important que celui de perte de sens », indique Maxime Lescurieux. Par exemple, les employés sont 41 % à déclarer que leur travail a gagné en intérêt du fait de la crise sanitaire. Cela pourrait refléter le gain de visibilité et de reconnaissance de certains métiers, reconnus comme essentiels pendant la crise, ou encore une augmentation des marges de manœuvre des salariés. Le sentiment de perte de sens du travail est plus prononcé chez les salariés les plus âgés. Chez les plus de 50 ans, 11 % déclarent une telle perte, contre 6 % chez les moins de 30 ans. Les cadres semblent être la catégorie professionnelle la plus concernée : 14 % d’entre eux se plaignent d’une perte de sens du travail, contre 8 % des employés et ouvriers.
Davantage d’effets sur la santé mentale
Ces déclarations ont été croisées avec l’état de santé des salariés. « Le sentiment de perte de sens du travail ou la crainte d’un changement non désiré dans la situation de travail du fait de la crise sanitaire sont associés à une augmentation de l’anxiété », poursuit Maxime Lescurieux. A contrario, le sentiment que le travail a gagné en intérêt joue un rôle protecteur sur la fatigue ressentie et les troubles du sommeil. La crise semble avoir eu plus de conséquences, positives ou négatives, sur la santé mentale que sur les troubles musculosquelettiques (TMS).
Bien que préliminaires, ces résultats constituent une première photographie du vécu de la crise au travail. A terme, cette étude permettra aux médecins du travail de comparer les données des salariés d’une entreprise aux statistiques nationales, afin de mieux repérer les situations problématiques. Sur cette question du vécu du travail, mais aussi du chômage, pendant la crise sanitaire, la direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) mène également une enquête, TraCov, dont les premiers résultats sont attendus au début de l’été.