Covid-19 : l’enseignement en mal de prévention
Si les enseignants essaient d’appliquer les mesures sanitaires édictées par le ministère de l’Education nationale, celles-ci s’avèrent souvent difficiles voire impossibles à mettre en œuvre. Avec le risque de contaminations, dont le suivi est jugé défaillant.
Un « protocole si possible ». C’est le surnom que certains enseignants ont donné au Guide relatif au fonctionnement des écoles et établissements scolaires dans le contexte COVID-19, réalisé par le ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse le 26 octobre dernier. Ce dernier accompagne en effet nombre de ses recommandations de mentions telles que « dans la mesure du possible ». Le personnel des établissements scolaires essaie bien entendu d’appliquer les règles sanitaires édictées par le guide, mais leur mise en place relève souvent du casse-tête.
« La première difficulté est le respect de la distanciation, relève Hervé Moreau, secrétaire national du Snes-FSU. Dans les classes, il n’est pas possible de maintenir une distance d’un mètre entre chaque élève en effectif complet. Les couloirs de beaucoup d’établissements ressemblent à des stations de métro aux heures de pointe. » Les marquages au sol, qui indiquent des sens de circulation, sont loin de régler les problèmes. « Les élèves ne les respectent pas, explique Hervé Moreau. Surveillants et conseillers principaux d’éducation passent un temps fou à gérer le flux. C’est autant de travail empêché, alors que le reste de l’activité continue. »
Dédoublement à géométrie variable
A la demande des syndicats d’enseignants, la possibilité de dédoubler les classes a été ouverte aux lycées le 9 novembre dernier. « C’est une mesure laissée à l’appréciation locale », souligne néanmoins Aurélien Boudon, co-secrétaire de la fédération SUD Education. Les modalités changent d’un établissement à l’autre : limité aux classes de plus de 24 ou de 30 élèves, par demi-journée ou par semaine, en conservant autant d’élèves dans l’établissement par le recours aux heures supplémentaires pour les enseignants ou non, etc. « Dans l’enseignement professionnel, beaucoup d’heures sont déjà dédoublées, ce qui a facilité la mise en place, remarque Aurélien Boudon. Pour toutes ces raisons, il n’est pas possible de mesurer l’étendue de l’application du dédoublement. » Les syndicats n’ont pas constaté de refus du dédoublement quand les enseignants le souhaitaient. Ils dénoncent en revanche le refus d’ouvrir cette possibilité aux collèges.
La situation dans les écoles élémentaires ou maternelles n’est pas plus simple. En cas d’arrêts de travail d’enseignants, malades de la Covid-19 ou cas contacts, les élèves sont répartis dans d’autres classes. « Comme il n’y a plus de remplaçants à cette époque, cela accroît encore la concentration, note Stéphanie de Vanssay, conseillère nationale au SE-Unsa. Par ailleurs, se tenir à distance des enfants de maternelle, qui tombent, doivent être mouchés, c’est impossible. » Pour limiter les brassages, les récréations sont échelonnées, ce qui limite les possibilités de pause des professeurs des écoles. À la cantine, où les masques sont forcément retirés, la distanciation est plus qu’ailleurs nécessaire… mais impossible, faute d’ouverture de grandes salles ou de gymnases, comme cela a été fait dans d’autres pays. Les enseignants déjeunent quand ils le peuvent chez eux ou seuls dans leur salle de classe, afin de limiter le risque de contagion.
Problèmes d’équipements
Geste barrière important, le lavage des mains se trouve parfois compliqué dans certains établissements du fait d’un manque de sanitaires. Quant à l’aération des salles de classe et de sport, elle est souvent empêchée par des fenêtres vétustes, ou neuves, qui ne fonctionnent pas. Les personnels de la vie scolaire, qui accueillent des élèves toute la journée, ne bénéficient pas non plus toujours de vitres plexiglass de protection, pourtant mises en place dans tous les guichets de l’administration. Cet équipement n’est pas indiqué dans le protocole. Enfin, le port du masque, obligatoire pour tous les enseignants, leur complique la tâche même s’ils ne le remettent pas en cause. « Projeter sa voix à travers un masque est fatigant, explique Stéphanie de Vanssay. Cela assèche la gorge et certains enseignants deviennent aphones. »
Contaminations invisibles ?
La gestion des contaminations apparaît comme un autre problème important. C’est « le point faible de la politique sanitaire dans l’Education nationale », estime Aurélien Boudon. Les chiffres donnés par le ministère sont sujets à caution : 3 528 élèves et 1 165 personnels contaminés par le Covid-19 le 6 novembre au retour des vacances de la Toussaint, puis 12 487 élèves positifs et 2 223 personnels la semaine suivante. « Sur 12 millions d’élèves, ces chiffres paraissent largement en dessous de la réalité, poursuit Aurélien Boudon. Même si les critères ne se recoupent pas complètement, ils sont à comparer aux 26 235 cas positifs chez les enfants de 10 à 19 ans comptabilisés pour cette même période par Santé publique France. » SUD Education dénonce une comptabilisation « au fil de l’eau » des personnes contaminées, sans rigueur méthodologique dans les remontées : leur fréquence n’est pas uniformisée, le comptage des élèves et enseignants testés positifs n’est pas systématique et souvent effectué avec un décalage, au retour de l’absence par exemple.
Autre motif d’inquiétude : l’absence de gestion des cas contacts. « Dans le reste de la fonction publique et dans le privé, ce sont les services de l’Assurance maladie qui, après avoir contacté la personne testée positive, définissent qui sont les cas contacts et les placent en quarantaine, rappelle Aurélien Boudon. Il existe une exception dans la procédure pour l’Education nationale, où le chef de l’établissement prend la main et traite directement avec l’agence régionale de santé, en présumant qu’il n’y a pas de cas contacts puisque la règle est l’application des gestes barrières, avec le port du masque et la distanciation physique. » D’où une quasi-absence de cas contacts et de quarantaines. Ce n’est qu’à partir de trois élèves testés positifs dans une classe que la fermeture peut être envisagée par les autorités de santé. Mais elle n’a rien de systématique.