Cinéma : le crépuscule d'un cadre
De bon matin, de Jean-Marc Moutout, retrace la descente aux enfers d'un homme qui y croyait trop. Trop à un travail naguère épanouissant. Trop à une gestion d'entreprise à laquelle il adhérait sans réserve et qui désormais le broie.
De bon matin, troisième long-métrage de Jean-Marc Moutout, en salles depuis le 5 octobre, commence... par la fin : Paul, 50 ans, se rend à son travail, dans une banque où il est chargé d'affaires. Là, il sort un revolver et abat deux hommes - ses supérieurs hiérarchiques, apprendra-t-on plus tard -, avant de s'enfermer dans son bureau vitré. Dans les minutes qui précèdent son suicide, il revoit des fragments de sa vie. Kaléidoscope du passé révélant l'engrenage qui mène au drame, la descente aux enfers d'un cadre à qui tout réussissait professionnellement et qui se retrouve peu à peu placardisé, sous la pression de deux jeunes managers chargés de " faire du chiffre ". Accusé de ne pas atteindre ses objectifs, déplacé d'un bureau particulier à un open space, convoqué à des réunions qui n'ont pas lieu, privé d'une partie de ses dossiers, l'homme perd pied au fil d'humiliations auxquelles il tente en vain de résister.
En pleine crise financière et après le retentissement médiatique des suicides à France Télécom, De bon matin frappe d'autant plus par sa justesse. Pourtant, c'est un fait divers datant de 2004 - un salarié d'une banque suisse tuant deux personnes avant de se donner la mort - qui a inspiré le réalisateur, incapable depuis de sortir cette histoire de sa tête. Il en a fait un film entrant en résonance avec son premier long-métrage, Violence des échanges en milieu tempéré (2003), qui décrivait le parcours initiatique d'un jeune consultant partagé entre son désir de réussite et ses scrupules vis-à-vis de sa mission de réorganisation d'une entreprise, se soldant par des licenciements. " Avec le personnage de Paul, je me suis penché sur l'autre bout du spectre, à l'opposé des illusions de la jeunesse, explique Jean-Marc Moutout. Comment un cadre, bon père de famille, qui a construit une belle carrière, se retrouve détruit par l'objet même qui l'a constitué, son travail. Le métier où il a fait ses preuves, source de son épanouissement, se retourne contre lui et il se désintègre. "
" Comment continuer ou résister ? "
Entre ces deux films, ce réalisateur intéressé par l'univers de l'entreprise, " lieu complexe et riche d'histoires ", observe une continuité : un chômage de masse et une dérive financière qui nourrit une perte de sens et un durcissement accru dans les rapports au travail. Mais, même s'il porte un regard critique sur la situation sociale, De bon matin est avant tout le récit de la tragédie d'un homme, que le réalisateur ne réduit pas à une simple victime. La conjonction de la crise des subprimes, du changement de managers dans la banque et de la mise sur la touche de Paul conduit ce dernier à s'interroger sur le rôle qu'il a lui-même joué dans le système : " S'il a réussi dans sa carrière, c'est qu'il a adhéré à une politique économique, à une gestion des hommes, précise le cinéaste. Il a tout donné et a cautionné une organisation sur laquelle il ouvre ensuite les yeux parce que ça lui tombe dessus. Certes, la crise bancaire donne une pression supplémentaire et les nouveaux chefs exécutent de façon plus abrupte, mais c'est aussi cette ambivalence qui est à l'origine de sa souffrance. "
Souffrance que rien - médicaments, alcool, arrêt maladie, consultation d'un psychothérapeute - ne peut soulager. Et qui se voit sur le corps de l'homme, incarné par Jean-Pierre Darroussin. Réaliste sans être démonstratif, le film se termine silencieusement sur les visages hagards, fermés, gênés des collègues de Paul, réunis autour de son psy. " Cette scène est une ouverture aux spectateurs, commente Jean-Marc Moutout. Comment ces personnes peuvent-elles continuer ou résister ? Et nous-mêmes qui participons à cette mécanique infernale ? "