Charles Monnier
Charles Monnier

Des CSE à la manœuvre pour aider les salariés

par Marie Sanroman, conseillère en droit du travail CFDT et Arnaud Olivier, avocat / 17 avril 2025

Le rôle des représentants du personnel est déterminant pour faciliter la reconnaissance des maladies professionnelles : pour assister les salariés dans la procédure de déclaration, mais surtout établir la réalité des expositions. Quatrième volet de notre dossier « Maladies professionnelles : soigner la reconnaissance ».

C’est une démarche épineuse qui a de quoi décourager les victimes du travail. Pourtant, obtenir le bénéfice d’une reconnaissance en maladie professionnelle présente de nombreux intérêts, aussi bien pour le salarié qu’à titre collectif pour la société. Sur le plan de l’intérêt général, la reconnaissance permet une prise en compte plus juste du coût réel du travail par des entreprises qui utilisent des méthodes pathogènes. Faire supporter à ces employeurs indélicats le coût de leurs pratiques délétères pour la santé est un moyen de compenser la concurrence déloyale qu’ils entretiennent face aux employeurs plus vertueux. C’est donc un outil pour les inciter à la mise en œuvre d’une politique de prévention.

La reconnaissance octroie aussi à la victime de nombreux avantages par rapport à une maladie ordinaire. Elle peut bénéficier d’indemnités journalières de Sécurité sociale (IJSS) à hauteur de 80% contre 50% du salaire au-delà de 28 jours pour une pathologie « classique ». Quand la maladie entraîne des séquelles, ces indemnités sont complétées par un capital ou une rente viagère si le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) atteint au moins 10%. De plus, le code du travail offre une protection contre le licenciement qui ne peut intervenir, durant l’arrêt de travail et jusqu’à la visite dite de reprise auprès du médecin du travail, qu’en cas de faute grave ou d’impossibilité de maintenir le contrat de travail, sous peine de nullité.

Faire des expositions un sujet de discussion

En cas de licenciement, si l’inaptitude découle au moins partiellement d’une maladie professionnelle, le salarié a droit à des indemnités majorées : un doublement de l’indemnité légale et une autre équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis. Et puis, le malade reconnu en maladie professionnelle avec un taux d’IPP supérieur à 10% peut, sous conditions, bénéficier d’un départ anticipé en retraite à 62 ans, voire dès 60 ans si le taux d’IPP atteint 20%.

En cas de maladie professionnelle, l’arrêt de travail compte pour l’ancienneté, ce qui n’est pas le cas en maladie simple, sauf disposition conventionnelle plus favorable. Enfin, le salarié pourra initier une action en faute inexcusable de l’employeur devant le tribunal judiciaire. Si celle-ci est reconnue, la rente ou le capital alloué au titre de l’IPP se trouve majoré, et une indemnisation complémentaire s’ajoute, qui se compte généralement en dizaines de milliers d’euros et se rapproche de l’indemnisation intégrale des préjudices, comme en droit commun.

Un soutien concret dans la déclaration

Contrairement aux accidents du travail qui doivent être déclarés par l’employeur, le salarié déclare lui-même sa maladie professionnelle. L’aide que peuvent apporter les élus se situe en amont de la déclaration et jusqu’à celle-ci. Les victimes ont ensuite intérêt à se faire accompagner par des associations spécialisées, des organisations syndicales, voire des juristes ou avocats eux aussi spécialisés.

Les victimes hésitent souvent à entreprendre la démarche. C’est bien là que les représentants du personnel ont un rôle déterminant. Plus il en sera question dans les échanges entre élus et salariés, plus ces échanges porteront sur les conditions de travail et les expositions susceptibles de déclencher des pathologies, plus l’employeur sera interpellé sur les insuffisances de la prévention, plus les salariés seront décomplexés et se sentiront soutenus.

Les élus pourront les aider à remplir le document Cerfa de déclaration de maladie professionnelle et à obtenir le certificat médical initial (CMI), véritable sésame à joindre à la déclaration. Le code de déontologie impose à tout médecin, généraliste, spécialiste ou du travail, de remplir ce document. En pratique, il faut souvent batailler. Pour faciliter les choses, les représentants du personnel ont tout intérêt à travailler régulièrement avec le médecin du travail, à le rencontrer pour discuter des expositions et des contraintes de travail qui peuvent déboucher sur des maladies, et à lui adresser des salariés en souffrance. Si le médecin du travail refuse de rédiger le CMI, il peut écrire au médecin traitant du salarié pour lui faire part de son diagnostic en lien avec les expositions professionnelles du patient et faciliter ainsi la rédaction du certificat par ce praticien.

Documenter la réalité des expositions

C’est sur le registre de l’établissement des conditions de travail et des expositions que le rôle des élus du personnel est le plus fort. Déjà, parce qu’en cas de déclaration de maladie professionnelle  encore plus en cas de procédure en faute inexcusable de l’employeur  l’employeur sera tenté de se défendre en soutenant que les circonstances de l’exposition sont indéterminées. Elles ne seraient donc pas à l’origine de la maladie et sa responsabilité ne serait pas engagée.

Ensuite, parce que dans le système des tableaux de maladie professionnelle, si la victime n’a pas à démontrer le lien entre sa pathologie et son exposition, elle doit néanmoins apporter des éléments montrant qu’elle a bien été exposée et remplit donc l’une des conditions du tableau. D’où l’importance d’établir ces circonstances, ce qui peut se faire par tout moyen de preuve : procès-verbaux du comité social et économique (CSE), photos ou vidéos des salariés au travail, correspondances à l’employeur (attention à la preuve de réception), attestations (aussi circonstanciées que possible), etc.

Les élus doivent en amont prévenir les risques de maladies professionnelles en signalant ceux qui concernent l’entreprise. Le document unique d’évaluation des risques professionnels (Duerp) est l’occasion de les recenser. Par ailleurs, le CSE a un pouvoir d’enquête en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail. Le critère de gravité n’est pas exigé mais, s’il existe, les heures passées par les élus pour mener cette enquête sont payées comme temps de travail effectif, et ne s’imputent pas sur leur crédit d’heures. Le CSE peut également déclencher une « expertise pour risque grave » et recourir à un expert habilité.

Utiliser le droit d’alerte

Un outil extraordinaire, mais trop peu utilisé depuis des décennies, existe avec le droit d’alerte prévu par le code du travail. Chaque membre du CSE en est dépositaire et peut donc le mettre en œuvre même en cas de minorité au sein du comité. Le texte mentionne « une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise », ce qui est très large. Il n’y a pas d’exigence de gravité ou d’imminence d’un péril. Une fois l’employeur saisi, il est tenu de procéder « sans délai » à une enquête avec le membre l’ayant alerté et de prendre les dispositions pour remédier à l’atteinte. En cas de carence de l'employeur, de divergence sur la réalité de cette atteinte ou d’absence de solution, il est possible de saisir les prud'hommes qui statuent en accéléré. La juridiction peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte et assortir sa décision d'une astreinte.

Enfin, alors que les salariés sollicitent de plus en plus souvent leurs représentants sur leurs conditions de travail, les élus peuvent, pour s’acculturer sur ce sujet, commencer par examiner les principes généraux de prévention dans le code du travail, qui s’imposent à l’employeur. Ils seront d’autant mieux armés pour établir, en laissant des traces écrites, les différences entre ce que l’employeur devrait faire et ce qu’il fait… ou ne fait pas. Autant de pièces qui serviront pour la reconnaissance des maladies professionnelles et des fautes inexcusables de l’employeur !