Ce décret « poussières » qui fait tousser le patronat
Hostiles à l’abaissement des valeurs limites d’exposition aux poussières sans effet spécifique préconisé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire, les employeurs font pression sur le ministère du Travail. Celui-ci en est à son troisième projet de décret, dont un déjà retoqué par le Conseil d’Etat.
Le décret censé définir de nouveaux seuils d’exposition aux poussières sans effet spécifique (PSES) verra-t-il le jour avant la fin de l’année ? Ce lundi 6 décembre, la commission générale du conseil d’orientation des conditions de travail (Coct) doit examiner une nouvelle proposition de texte. C’est la troisième en trois mois. Il faut dire que le sujet est sensible et qu’il est difficile de mettre tout le monde d’accord.
Susceptibles de provoquer des maladies respiratoires et cardio-vasculaires, les PSES se classent en deux catégories : les poussières inhalables (comprises entre 1 et 100 µm de diamètre) et les alvéolaires (comprises entre 1 et 4 µm). Pour réduire les risques pour la santé, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) propose d’abaisser les valeurs limites d’exposition professionnelle sur huit heures (VLEP-8 h) de 10 à 4 mg/m3 pour la fraction inhalable et de 5 à 0,9 mg/m3 pour la fraction alvéolaire.
Des millions de travailleurs exposés
Cette division par deux et cinq des valeurs actuelles ne manque pas d’inquiéter nombre de secteurs d’activité, comme celui de la construction, où les expositions aux poussières font partie du quotidien de travail de dizaines de milliers de salariés. Le secteur de la volaille est également très exposant. De fait, les secteurs concernés par les dégagements de poussières sont très nombreux : transports ferroviaires en milieu souterrain, abattoirs, carrosserie, plasturgie, fabrication d’engrais, boulangerie, forge, installation de machines industrielles, traitement et élimination des déchets… Des millions de salariés travaillent au contact des PSES.
Un premier projet de décret, présenté au Conseil d’Etat à la mi-septembre par la direction générale du Travail (DGT), proposait des VLEP révisées très en deçà des recommandations de l’Anses. « Le décret prévoyait une baisse d’environ 20 % des valeurs limites d’exposition : on passait de 10 à 8 mg/m3 pour la fraction inhalable et de 5 à 4 mg/m3 pour la fraction alvéolaire, précise Pierre-Gaël Loréal, secrétaire confédéral de la CFDT et membre de la commission générale du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct). C’était bien en deçà de nos attentes. » Le Conseil d’Etat a semble-t-il partagé la déception des organisation syndicales : le 21 septembre, il rejetait la proposition de décret estimant que « l'écart entre les seuils recommandés par l’Anses et ceux prévus par le projet de décret [n'était] justifié par aucun élément ».
Contestation des nouveaux seuils
Deux mois plus tard, le 17 novembre, la DGT a donc proposé un nouveau projet de décret, que la CFDT juge nettement plus protecteur. « Les valeurs de l’Anses sont enfin prises en compte, se félicite Pierre-Gaël Loréal. Et elles devaient entrer en vigueur le 1er janvier prochain. » Panique cette fois-ci du côté patronal. Le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE) prévient que ce projet de décret « a un impact économique considérable ». Il s’inquiète « vivement d’une réglementation qui pourrait être décidée, sur la seule considération sanitaire, sans intégrer les capacités réelles de sa mise en œuvre » et demande à reporter l'entrée en vigueur des nouveaux seuils.
Pour essayer de mettre tout le monde d’accord, la direction générale du travail a décidé alors de rédiger un troisième projet de texte, qui prévoit une période transitoire de dix-huit mois. Présenté ce mercredi 1er décembre, le nouveau projet « prévoit une baisse des valeurs de 30 % à compter du 1er janvier 2022 et une application des normes Anses au 1er juillet 2023 », détaille Pierre-Gaël Loréal. « C’est moins ambitieux que le projet précédant mais cela reste acceptable. Cela peut permettre de se mettre rapidement au travail pour mieux protéger les salariés », estime-t-il.
Faisabilité technique versus santé des salariés
« Nous n’avons aucune garantie que les valeurs Anses seront appliquées un jour, pense de son côté Gérald Le Corre, membre CGT de la commission spécialisée n° 3 du Coct (CS3), qui s’intéresse aux équipements et lieux de travail. Le décret du 1er décembre, comme celui du 17 novembre, prévoit la mise en place d’une commission chargée d’identifier la faisabilité technique du respect des valeurs Anses. Elle devra ensuite réexaminer la pertinence de ces valeurs. Cela laisse entendre que le ministère pourrait revoir à la hausse les valeurs limites si les patrons démontrent que c’est compliqué de les respecter. Qui va réellement s’impliquer pour baisser les valeurs limites dans ces conditions ? » Autre sujet d’inquiétude : la possibilité pour les employeurs de décider eux-mêmes de la densité des poussières alvéolaires devant être prise en compte pour vérifier le respect des VLEP. Et ce sans consulter le médecin du travail, le CSE, ni aucun organisme accrédité. Sera-t-il possible de revenir sur ce dernier point, qui concerne de très nombreux salariés ? Interrogé sur ces diverses préoccupations, le cabinet de Laurent Pietraszewski, secrétaire d’Etat en charge de la Santé au travail nous a répondu : « Nous ne commentons pas les travaux en cours sur les décrets. »
« Ces poussières que l'Etat ne peut plus mettre sous le tapis », par Nolwenn Weiler.