Ces décrets qui font la loi « santé au travail »
Entrée en vigueur le 31 mars 2022, la loi sur la prévention en santé au travail mobilise les partenaires sociaux, consultés sur ses décrets d’application. Des textes qui confortent détracteurs et promoteurs de la réforme dans leurs positions. Bilan d’étape.
Même si près d’une quarantaine de décrets sont encore attendus, la loi du 2 août 2021 pour « renforcer la prévention en santé au travail » est effective depuis le 31 mars dernier. En dépit de quelques réserves, les syndicats signataires de l’accord national interprofessionnel (Ani) qui a servi de support à la loi semblent plutôt satisfaits par les premiers textes d’application. Trois décrets ont déjà été publiés, sur la surveillance post-exposition, la conservation du document unique d’évaluation des risques (DUER) et la prévention de la désinsertion professionnelle. « Ces décrets vont dans le bon sens au regard de ce que nous avons porté », résume Catherine Pinchaut de la CFDT. Point important pour elle : les partenaires sociaux restent « à la manœuvre » pour la mise en musique du texte de loi. « Nous essayons de faire en sorte que l’Ani soit respecté, ce qui n’est pas simple, pointe pour sa part Pierre-Yves Montéléon, pour la CFTC. Certaines dispositions des décrets sont néanmoins insuffisantes. »
Moins d’obligations pour les petites entreprises
Concernant le DUER, par exemple, un décret du 18 mars précise que ce document doit être mis à jour « au moins chaque année dans les entreprises d'au moins onze salariés ». Les plus petites entreprises ne sont donc plus soumises à une obligation de mise à jour annuelle. « C’est une régression de la prévention pour les salariés concernés, d’autant que les grandes entreprises ont tendance à sous-traiter les risques aux petites », souligne Jérôme Vivenza de la CGT, seule confédération syndicale à ne pas avoir signé l’Ani. Si l’évaluation des risques doit être accompagnée d’un programme de prévention, cette disposition ne concerne pas les entreprises de moins de 50 salariés. « Nous aurions souhaité que toutes les entreprises soient à la même enseigne », regrette Serge Legagnoa pour FO.
Le décret du 18 mars reprend la durée de conservation et de mise à disposition des DUER prévue par la loi, soit quarante ans. Cependant, ceux élaborés avant le 31 mars 2022 ne sont pas concernés, ce qui pose question de la traçabilité collective des risques pour les salariés exposés avant cette date. « Le document unique, qui existe depuis vingt ans, a-t-il vraiment amélioré la prévention primaire, empêché l’explosion des troubles musculo-squelettiques et la souffrance au travail ? interroge de son côté Jean-Michel Sterdyniak, médecin du travail et secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST), très critique sur la réforme. Il s’agit le plus souvent d’une démarche purement formelle qui ne débouche sur rien de concret. »
Un réaménagement des visites médicales
Un autre décret, publié le 16 mars, clarifie les nouvelles règles en matière de visites médicales. Celles de reprise, obligatoires, sont désormais organisées après soixante jours d’absence du salarié contre trente auparavant. « Le passage à soixante jours d’absence va entraîner une diminution des visites de reprise, avertit le secrétaire général du SNPST. Il y a un risque d’invisibilisation de certains arrêts provoqués par un accident de travail ou une souffrance au travail. » Cette modification n’inquiète pas pour autant Catherine Pinchaut, qui rappelle qu’elle est contrebalancée par l’aménagement de la visite dite de pré-reprise. Celle-ci est censée anticiper le retour au travail. Non obligatoire, elle peut être demandée par le salarié, le médecin-conseil de la Sécurité sociale, le médecin traitant ou le médecin du travail au bout de trente jours d’absence, contre trois mois auparavant.
Par ailleurs, le même décret prévoit une surveillance spécifique pour les salariés ayant été exposés à des facteurs de risque justifiant un suivi médical renforcé. Ce suivi post-exposition était jusqu’alors réservé aux seuls salariés partant en retraite. « Le suivi post-exposition n’est pas de la prévention. La prévention consiste à ne pas exposer les salariés à des risques », rappelle néanmoins Jean-Michel Sterdyniak.
Enfin, un troisième décret, publié lui aussi le 16 mars, précise les conditions de mise en œuvre de l’essai encadré, du rendez-vous de liaison et du projet de transition professionnelle. Ces dispositifs concernent des salariés atteints d’un problème de santé ou d’un handicap susceptibles de compliquer leur maintien à leur poste de travail. Un rendez-vous de liaison peut leur être proposé par l’employeur à partir de trente jours d’arrêt maladie, afin d’y évoquer la possibilité de bénéficier de mesures de prévention de la désinsertion professionnelle. L’essai encadré consiste à proposer au salarié, pendant son arrêt de travail, de tester un nouveau poste dans ou en dehors de l’entreprise, afin de vérifier s’il est adapté à son état de santé. « Nous avons déjà fait part de notre avis très réservé sur le rendez-vous de liaison, susceptible de s’apparenter à un rendez-vous de contrôle patronal », s’inquiète Serge Legagnoa. Le représentant de FO regrette également que la prévention de la désinsertion professionnelle soit abordée uniquement sous l’angle individuel et non collectif.
Définition paritaire de l’offre socle
D’autres mesures phares de la loi du 2 août 2021 vont faire l’objet de décrets, comme la définition de l’offre socle des services de prévention et de santé au travail (SPST), mais aussi leur certification ou la mise en œuvre du passeport de prévention. Le Comité national de prévention et de santé au travail (CNPST), nouvelle instance paritaire créée par décret en décembre dernier, a pour mission de discuter de ces sujets. Les partenaires sociaux ont ainsi défini collégialement début avril une proposition relative à l’offre socle de services.
« Il ne faut pas espérer monts et merveilles de notre proposition, prévient Pierre-Yves Montéléon. Nous nous sommes mis d’accord sur les points prévus par la loi. » Le document d’une dizaine de pages détaille les modalités de mise en œuvre des trois principales missions des SPST : prévention des risques professionnels, suivi de l’état de santé des salariés et prévention de la désinsertion professionnelle. « Cette offre socle nécessite de donner de nouveaux moyens aux SPST, notamment pour la prévention de la désinsertion professionnelle, précise Jérôme Vivenza. Les entreprises adhérentes seront-elles prêtes à revoir les montants de leurs cotisations ? »
S’agissant de l’offre de services complémentaires par les SPST, le texte des partenaires sociaux stipule que ces prestations ne doivent pas avoir « comme finalité de développer une dynamique d’offre marchande ». Une mise au point plutôt rassurante. Cependant, le projet de décret sur l’offre socle se contente de préciser que la délibération du CNPST est « approuvée » par le gouvernement, sans la décliner en termes juridiques. Une rédaction minimaliste, sur un sujet source d’inquiétudes pour les professionnels de santé au travail, qui laisse perplexe certains représentants syndicaux.