« Un déficit de qualité d’emploi et du travail »

entretien avec Christine Erhel, professeure au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et directrice du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET)
par Joëlle Maraschin / janvier 2022

Avec Sophie Moreau-Follenfant, vous avez été chargée d’une mission sur la reconnaissance de la mobilisation des « travailleurs de la deuxième ligne » face au Covid-19 par la ministre du Travail. Les avez-vous identifiés ?
Christine Erhel : Pour le secteur privé, 4,6 millions de personnes sont considérées comme travailleurs de deuxième ligne. Nous avons croisé deux critères pour les identifier. Le premier est l’exposition potentielle à des risques de contamination dans un contexte de pandémie, en raison de contacts rapprochés avec le public ou entre travailleurs. Le second critère concerne les salariés qui ont continué à travailler sur site lors du premier confinement. Cela a permis d’identifier 17 métiers qui sont, pour l’essentiel, ceux des transports, des services comme l’aide à domicile, de la propreté, du gardiennage ou de la sécurité, du commerce alimentaire, de l’agriculture ou encore du bâtiment et de l’industrie.

Qu’est-ce qui est le plus marquant dans votre diagnostic ?
C. E. : Les métiers de la deuxième ligne se caractérisent par un déficit de qualité de l’emploi et du travail par rapport à la moyenne des salariés du privé. Nous nous sommes intéressées à six dimensions : salaires et rémunérations, conditions d’emploi et type de contrats, conditions de travail, conciliation vie professionnelle et vie familiale, perspectives de carrière et enfin dialogue social. S’ils ne connaissent pas tous les mêmes difficultés, on observe dans l’ensemble une forte présence de CDD et d’intérim, de temps partiels, de faibles rémunérations, d’horaires atypiques. Nombre d’entre eux présentent de fortes expositions à des risques physiques, en particulier les métiers du bâtiment, des industries agroalimentaires, de l’entretien ou encore de l’aide à domicile. Ils déclarent globalement deux fois plus d’accidents au cours de leur travail.
Notre idée était de cibler pour chaque métier les problèmes qui peuvent se poser afin de stimuler les négociations de branche ou d’entreprise. Certaines branches ont entrepris des discussions sur une meilleure reconnaissance mais nous en dressons un bilan mitigé. Un des enjeux est pourtant de renforcer l’attractivité alors que les difficultés de recrutement ont tendance à s’aggraver.

Quels pourraient être les leviers d’amélioration ?
C. E. : La dimension rémunération est importante. Elle dépend des négociations de branche mais aussi des arbitrages des pouvoirs publics, beaucoup de ces salariés étant payés au Smic. Pour autant, la revalorisation du salaire horaire ne suffira pas à faire sortir de la pauvreté les travailleurs à temps partiel. Il est nécessaire de réfléchir à une augmentation de leurs heures de travail. Autre levier à mobiliser, l’organisation du temps de travail. Certaines contraintes horaires tiennent à la nature même des métiers, mais dans d’autres cas, l’organisation du travail conduit à des horaires fragmentés ou atypiques alors qu’il serait pourtant possible de faire autrement.

A LIRE
  • Rapport de reconnaissance et de valorisation des travailleurs de la « deuxième ligne », par Christine Ehrel et Sophie Moreau-Follenfant, 21 décembre 2021.