Désamiantage : un rapport alarmant de l’INRS

par Rozenn Le Saint François Desriaux / 23 juin 2015

Dans un rapport resté confidentiel, l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) alerte sur le niveau d’empoussièrement des chantiers de retrait des plâtres amiantés et sur l’efficacité insuffisante des masques de protection. 

La mention « Données confidentielles » apparaît en rouge sur toutes les pages du rapport d’études de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), dont Santé & Travail s’est procuré une copie. Transmis au ministère du Travail, il n’a pas été rendu public. Ses conclusions sont pourtant alarmantes : les appareils de protection respiratoire à adduction d’air (les plus efficaces) utilisés par les désamianteurs ne sont pas suffisamment efficaces pour les protéger dans les opérations de retrait des plâtres amiantées, appelés « progypsol ». Certes, le retrait de ce type de matériaux amiantés ne représente qu’une faible partie des opérations de désamiantage, mais l’étude de l’INRS confirme que ces chantiers génèrent un fort empoussièrement, qu’il est apparemment difficile de maîtriser.

Des niveaux d’empoussièrement importants

Ainsi, la conclusion du document de l’INRS indique que « les empoussièrements extérieurs mesurés sont élevés et supérieurs à la limite [réglementaire, ndlr] de 25 000 fibres par litre d’air dans 50 % des cas, malgré le processus d’arrosage du matériau en continu pendant toute la phase de retrait. Les prélèvements à l’intérieur des masques respiratoires indiquent également des valeurs élevées, pour certaines supérieures à 100 fibres par litre. Une recherche des causes a été entreprise sans qu’une explication simple en ressorte (pas de défaut des règles de sécurité, de protection collective). La spécificité du matériau à retirer est certainement en cause ».

Une précédente campagne de mesures de l’INRS, effectuée en 2011, avait déjà montré des niveaux d’empoussièrement importants sur ces chantiers de retrait de progypsol – plus de 11 000 fibres par litre en moyenne –, ainsi que sur les chantiers de déflocage : 6 000 fibres par litre. En revanche, les facteurs de protection des appareils respiratoires (FPA) n’avaient été estimés que par des campagnes de mesures réalisées dans les années 1990, avec la méthode de comptage des fibres dite MOCP, par microscopie optique. Ces facteurs ont donc fait l’objet d’une nouvelle campagne de mesures dans le cadre de l’étude, avec une méthode plus précise, par microscopie électronique à transcription analytique, dite META. Laquelle a révélé une protection insuffisante des appareils respiratoires face au progypsol.

Etudier une organisation du travail différente

En conséquence, le rapport recommande de réduire l’empoussièrement sur les opérateurs. Selon ses conclusions, « il apparait clairement que l’humidification du matériau dans ce cas particulier du plâtre amianté, qui plus est, peint sur ce chantier, n’est pas satisfaisante en termes de protection collective. L’arrosage, tel qu’il est pratiqué, est probablement inefficace pour l’abattage humide des poussières, du fait de la puissance du jet. Il est donc nécessaire de mettre les opérateurs en retrait par rapport à la source d’émission pour éviter des empoussièrements individuels trop élevés. Une organisation du travail différente serait à étudier afin de supprimer par exemple l’opérateur qui tient le sac de déchets amiantés au niveau du point de retrait sur l’échafaudage. Sa proximité avec la source l’expose tout particulièrement ». Le rapport propose plusieurs axes d’amélioration, comme l’aspiration au fur et à mesure de la production de déchets.

Abaissement de la valeur limite d’exposition

Ce rapport intervient dans un contexte réglementaire en pleine évolution. Le 1er juillet, la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) à l’amiante va en effet être abaissée d’un facteur dix, passant de 100 fibres par litre à 10 fibres par litre. Les entreprises avaient trois ans pour se préparer à ce renforcement de la prévention, puisque le décret le décidant date du 4 mai 2012. Le rapport d’étude de l’INRS montre que sur les chantiers de retrait de progypsol, on est loin du compte.

En outre, le gouvernement s’apprête à publier un décret concernant les niveaux d’empoussièrement attendus sur les chantiers de retrait d’amiante. Ces niveaux déterminent les protections individuelles et/ou collectives les plus adaptées qui devront être mises en œuvre pour protéger les opérateurs. Actuellement, ils sont définis dans l’article R. 4412-98 du Code du travail par rapport à la VLEP de 100 fibres par litre. On s’attendait donc à ce que, la VLEP baissant d’un facteur dix, les niveaux d’empoussièrement baissent dans la même proportion. Or le projet de décret prévoit qu’ils ne changeront pas, de même que, par voie de conséquence, les exigences en termes d’équipements de protection.

Décision transitoire

Une décision qui soulève des questions chez les experts. Interrogé sur ce point, le ministère du Travail précise que cette décision de maintenir les niveaux actuels d’empoussièrement est transitoire, « dans l'attente des données permettant de les faire évoluer ». « En effet, l'étude très lourde et complexe engagée par l'INRS pour réévaluer les facteurs de protection des appareils de protection respiratoire a pris du retard, et l'ensemble des résultats de cette étude, indispensables pour faire évoluer les niveaux d'empoussièrement, ne seront disponibles qu'à la fin de l'année », nous précise le service de presse du cabinet. Il n’en demeure pas moins que cette étude de l’INRS interroge quant aux mesures immédiates à prendre sur ce type de chantier particulier et sur l’efficacité des protections respiratoires.

A LIRE AILLEURS SUR LE WEB
  • Le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (n° 23, 23 juin 2015) de l’Institut de veille sanitaire (InVS) a publié un article sur la montée de la souffrance psychique chez les salariés. A partir des données du programme de surveillance des maladies à caractère professionnel, animé par l’InVS et renseigné par les médecins du travail, ses auteurs révèlent qu’entre 2007 et 2012, le taux de prévalence des troubles psychiques liés au travail a augmenté, les femmes étant deux fois plus touchées que les hommes. Depuis 2011, les troubles anxiodépressifs représentent plus d’un tiers des affections déclarées, le stress lié à l’emploi étant moins souvent cité.