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Dioxyde de titane : la classification cancérogène par inhalation sera-t-elle confirmée ?

par Rozenn Le Saint / 06 mars 2025

Le lobby de l’industrie chimique tente de faire annuler la classification de la substance comme cancérogène possible par inhalation décidée par la Commission européenne. Mais l’avis de l’avocate générale de la Cour de justice de l’Union européenne, rendu le 6 février, confirme la pertinence scientifique de la classification. Une décision est attendue en mai ou juin.

Le lobby de l’industrie chimique va-t-il échouer à obtenir l’annulation définitive de la classification « cancérogène possible » du dioxyde de titane (TiO2) par inhalation ?  Dans un avis rendu le 6 février dernier, l’avocate générale Tamara Ćapeta invite en tout cas la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à revenir sur l’annulation de la classification, obtenue en 2022 par le lobby des fabricants de ce composé et notamment par le Conseil européen de l’industrie chimique (Cefic). Le tribunal de justice européen (TJE) avait argué d’une « erreur manifeste d’appréciation de l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) » les dangers de cette substance pour justifier sa décision. 

De forts enjeux économiques

La Commission européenne avait aussitôt formé des pourvois suspensifs contre cette annulation, lesquels sont actuellement examinés par la CJUE. Si le lobby des fabricants de dioxyde de titane s’est tant mobilisé, c’est que ce pigment blanc est utilisé à des tonnages très importants sous forme nanoparticulaire dans de nombreuses applications industrielles et commerciales, comme la fabrication des peintures, vitrages autonettoyants, cosmétiques, plastiques ou textiles, et jusqu’aux dentifrices. Si la classification « cancérogène possible » était maintenue, cela obligerait les industriels à changer la recette de nombre de leurs produits. Dans l’alimentation, ce composé blanchissant a d’ailleurs déjà été interdit au niveau européen comme additif. « Les intérêts économiques sont très forts, indique Tony Musu, expert à l’Institut syndical européen (Etui), c’est cela qui est en jeu, bien plus que l’aspect santé au travail. » Les travailleurs les plus exposés à l’inhalation de TiO2 se trouvent dans les secteurs du BTP, de la chimie, de l’alimentaire et des cosmétiques. « La classification du produit comme cancérogène possible pour l’exposition professionnelle implique de changer l’étiquetage des produits et de l’indiquer sur les fiches de sécurité », précise-t-il.
Le lobby de l’industrie chimique n’a pas hésité à actionner le levier de la justice européenne pour battre en brèche les conclusions des scientifiques, et notamment celles de l’Echa, l'Agence européenne des produits chimiques. « C’est malheureusement fréquent que ses avis soient contestés quand ils touchent un composé à forts enjeux financiers comme lorsque le Bisphénol A a été identifié comme substance extrêmement préoccupante. A tel point que l’Echa s’est dotée d’une brigade juridique entièrement dédiée à appuyer ses opinions scientifiques contre les industriels qui défendent becs et ongles des produits nocifs », souligne Tony Musu. 
« Les fabricants et entreprises utilisatrices de TiO2 préfèrent attaquer la classification, pourtant peu contraignante, plutôt que d'informer les travailleurs des risques liés à l'inhalation de cette substance, plus particulièrement de ses nanoparticules », regrette Mathilde Detcheverry, déléguée générale de l’Association de veille et d’information civique sur les enjeux des nanosciences et des nanotechnologies (Avicenn) et responsable du site veillenanos.fr. La classification n’entraîne en effet aucune restriction de l’utilisation du TiO2 mais exige seulement d’alerter les travailleurs sur les dangers des poudres et poussières de TiO2 inférieures à 10 000 nm.   

Une jurisprudence possible

Selon l’avocate générale, ne pas admettre que le dioxyde de titane présente la « propriété intrinsèque » de provoquer le cancer constitue une interprétation restrictive de la réglementation européenne sur la classification, l’étiquetage et l’emballage des substances et mélanges. Dans son avis, elle considère que les juges auraient dû s’incliner devant l’interprétation des données scientifiques de l’Echa, et propose donc à la Cour de justice de l’Union européenne de revenir sur la décision d’annulation.
Si son avis était suivi par la Cour, comme c’est généralement le cas, la classification comme cancérogène possible serait conservée. Cela représenterait une victoire pour la Commission européenne, et pour la France, dans cette bataille pour une classification harmonisée. De plus, cela pourrait faire jurisprudence. « Cela ne diminuera peut-être pas les tentatives des industriels de contester les avis des scientifiques mais cela rendrait beaucoup plus compliqué à l’avenir le fait qu’ils obtiennent gain de cause sur des annulations de classifications », estime Tony Musu.
En réaction à l’avis de l’avocate générale, l'Association des fabricants de dioxyde de titane (TDMA) au niveau européen, la branche spécialisée du lobby Cefic, explique sur son site web « ne pas être d’accord avec les arguments avancés» et souligne que « la grande majorité des formes de TiO2 mises sur le marché ne répondent pas aux critères de classification et ne sont pas affectées par la décision finale. » « L'industrie du TiO2 continue d'investir des millions d'euros dans divers programmes scientifiques visant à confirmer la sécurité du TiO2 », poursuit le lobby.
De quoi susciter l’inquiétude de Mathilde Detcheverry (Avicenn) « La TDMA dépense des millions d'euros pour des études visant à démontrer l'innocuité du TiO2. Or il n'y a quasiment plus de recherche indépendante sur ses effets néfastes, ce qui va priver les autorités d'une contre-expertise fiable à l'avenir. » Contacté par Santé&Travail, la TDMA indique : « Au-delà des commentaires sur notre site, nous attendons l'arrêt définitif de la Cour de justice européenne attendu en mai ou juin 2025.  Le pourvoi ayant un effet suspensif sur l’arrêt du Tribunal, la classification cancérogène possible par inhalation a été conservée et continuera donc de s’appliquer au moins jusqu’au verdict.

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