Donner toute leur place aux élues du personnel
A partir de 2017, la présence des femmes dans les instances représentatives du personnel (IRP) devra être proportionnelle à leur part dans l'électorat. Ce qui implique de créer des conditions plus favorables à leur participation à ces instances.
La loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, dite "loi Rebsamen", contient une mesure qui a peu fait parler d'elle lors des débats parlementaires mais qui aura un effet important sur les représentants du personnel (RP), nécessitant de s'y préparer. L'article 7 de la loi stipule en effet que, à partir du 1er janvier 2017, la part des femmes parmi les candidats aux élections professionnelles devra être proportionnelle à leur part dans l'électorat. Cette proportionnalité se double d'une obligation d'ordre : les listes seront composées "alternativement d'un candidat de chaque sexe jusqu'à épuisement des candidats d'un des sexes". De fait, la parité imposée en haut de liste, là où les candidats ont le plus de chances d'être élus, risque d'aboutir à une représentation qui sera plus proche de la parité stricte (50 % de femmes et 50 % d'hommes) que de la représentation proportionnelle des électeurs concernés. D'autant plus que les femmes restent concentrées dans certains secteurs d'activité et certains métiers.
Un vrai casse-tête ?
Aujourd'hui, si la présence des femmes dans les institutions représentatives du personnel (IRP) reste inférieure à leur place réelle parmi les salariés, elle est loin d'être négligeable : selon l'édition 2011 de l'enquête Reponse (ministère du Travail, voir "A lire"), 37 % des RP sont des femmes, alors qu'elles constituent 41 % des salariés. Leur présence dans les IRP est cependant marquée par la structure sexuée des emplois. Variant fortement selon les secteurs d'activité et leur degré de féminisation, elle est ainsi plus importante dans les services que dans l'industrie et la construction. Mais, étonnamment, si les femmes sont sous-représentées dans tous les secteurs, elles le sont tout particulièrement dans les activités tertiaires, celles qui emploient pourtant le plus de femmes.
Le dispositif instauré par la loi Rebsamen pourrait devenir un vrai casse-tête pour les organisations syndicales lors de l'élaboration des listes électorales, d'autant que la recherche de candidats s'avère souvent bien délicate. Carence de candidatures, souci de représenter les différents métiers ou sites, voire tendances syndicales ou tout simplement amitiés et/ou inimitiés : autant d'ingrédients qui rendent l'exercice complexe. Cette mesure pourrait avoir le mérite d'amener les RP et les organisations syndicales qui les mandatent à s'interroger sur la place des femmes, à mettre au jour les difficultés spécifiques qu'elles rencontrent dans l'exercice des mandats et à réfléchir aux moyens de les dépasser.
Pour comprendre quels sont les freins à la présence des femmes dans les IRP, intéressons-nous à leurs conditions d'exercice des mandats. Eprouvent-elles des difficultés spécifiques ? Sont-elles soumises à des contraintes particulières ? De quels soutiens disposent-elles ? Une enquête menée par le cabinet d'expertise Secafi et le Centre études & prospective du Groupe Alpha (voir "Repères" page 44) fournit quelques réponses1 . Partant du postulat que les RP ont des conditions de travail spécifiques du fait de leur mandat, cette étude a mesuré leur exposition aux risques psychosociaux (RPS) et en a analysé les facteurs de causalité. Fait remarquable, seul le genre ressort ici comme une caractéristique discriminante. Tout comme les femmes salariées en général, les représentantes du personnel sont plus exposées aux RPS que leurs homologues masculins : 57 % des premières sont en situation de stress avéré, contre 45 % des seconds.
Un impact dissuasif sur la vie familiale
La question de l'articulation des temps, entre l'exercice d'un mandat, l'activité professionnelle et le travail domestique, est une problématique qui concerne l'ensemble des élus mais qui s'avère particulièrement prégnante pour les femmes. Les représentantes du personnel ayant répondu à l'enquête déclarent très majoritairement une charge de travail liée au mandat importante ou excessive (67 %, soit 2 points de plus que les hommes) et insuffisamment couverte par les heures de délégation allouées. Cela les amène à travailler souvent ou toujours chez elles en lien avec leur mandat (69 %, contre 66 % pour les hommes), ce qui entraîne, pour près d'un tiers d'entre elles, des conséquences sur la vie personnelle jugées négatives. Cet impact apparaît comme un facteur important d'exposition des femmes élues aux RPS (voir encadré page 45). De fait, ce sont les femmes qui expriment le plus de culpabilité à l'égard d'un investissement dans le mandat débordant sur la vie familiale. L'investissement temporel lié à un mandat peut s'avérer dissuasif pour les femmes, car n'oublions pas qu'elles effectuent la majorité des tâches domestiques et parentales.
La nature des emplois occupés par les femmes complique également leur accès aux mandats. Leur surreprésentation dans les emplois atypiques (temps partiel et CDD notamment), dans certains secteurs d'activité peu structurés comme les services à la personne, dans l'emploi non qualifié et dans les entreprises de petite taille ne favorise pas l'engagement.
Enfin, cela interroge la sursollicitation des RP et la figure sacrificielle encore souvent véhiculée dans le monde syndical. S'engager dans un mandat revient parfois à accepter d'être disponible en permanence et d'y accorder tout son temps, choix plus difficile pour les femmes que pour les hommes. Elles cumulent moins souvent plusieurs mandats. Et leur turn-over est plus rapide : 42 % des répondantes à l'enquête exercent leur mandat depuis moins de cinq ans, contre 30 % pour les hommes. Au total, les difficultés à conjuguer leurs différents temps de vie peuvent s'avérer si coûteuses que les femmes finissent par renoncer à s'engager ou à rester dans un mandat. Le manque de moyens pour exercer convenablement leur mandat constitue d'ailleurs la principale raison qu'elles invoquent comme motif d'arrêt.
Plafond et parois de verre
Les femmes occupent moins souvent que les hommes les postes à responsabilité au sein des IRP et des organisations syndicales ; tout comme dans leur vie professionnelle, elles se trouvent ici limitées dans leur ascension par le fameux "plafond de verre". Elles se heurtent également à des "parois de verre", c'est-à-dire à des difficultés pour s'imposer dans des champs traditionnellement considérés comme masculins, ce qui conduit à reproduire dans les IRP une division sexuée du travail.
Les hommes représentants du personnel exercent ainsi en moyenne des activités plus diversifiées et plus valorisées dans des domaines supposés plus techniques et mettant davantage en oeuvre des relations externes. Les femmes restent plutôt sur des tâches moins prestigieuses, tournées vers la vie interne de l'instance et mettant en oeuvre des qualités qualifiées de "naturelles". Une telle polarisation des tâches cantonne les femmes à ce qu'elles effectuent dans la sphère domestique ou professionnelle. Dans l'enquête, le seul type d'activité mentionné davantage par les femmes que par les hommes est l'administratif et les comptes rendus de réunion (voir aussi le témoignage page 45) !
Cette polarisation renvoie aussi les femmes au travail jugé émotionnel, quand les hommes s'adjugent le travail supposé intellectuel. Les représentantes du personnel sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à se dire très souvent confrontées à des salariés en situation de mal-être (43 %, contre 30 % pour les hommes) et à s'estimer en difficulté face à ce mal-être (35 %, contre 27 %). Cela augmente leur exposition aux risques psychosociaux. Par ailleurs, elles se sentent légèrement plus isolées dans l'exercice de leur mandat (40 %, contre 37 % pour les hommes) et bénéficient d'un soutien moins développé. En effet, elles déclarent moins obtenir de l'aide de la part des différents acteurs, à l'exception de l'environnement personnel (+ 8 %) et des médecins ou infirmiers du travail (+ 1 %). Le manque de soutien apparaît comme une des causes de leur surexposition aux RPS (voir graphique page 42).
Les femmes sont victimes d'un cumul de discriminations, liées à la fois à leur genre et à leur engagement militant, ce qui entrave leur évolution professionnelle. Comme le montre l'enquête Reponse citée plus haut, comparée à un homologue masculin (toutes choses égales par ailleurs), une représentante du personnel a 20 % moins de chances d'avoir connu une promotion au cours des trois dernières années et 40 % moins de chances de voir son salaire évoluer dans les douze prochains mois. Les femmes peuvent également subir des discriminations dans le cadre de leur mandat : 12 % des répondantes à l'enquête Secafi indiquent avoir subi des pressions liées à leur genre dans ce cadre (1 % seulement des hommes font le même constat).
Ecouter les femmes
Les élues peuvent aussi être freinées dans leur "parcours syndical". En effet, elles bénéficient moins d'une formation syndicale que les hommes (72 %, contre 78 %), alors que cette formation est apparue dans l'enquête comme une ressource fondamentale pour faire face aux RPS. Elles sont également moins accompagnées par d'autres mandatés pour leur montée en compétence, le passage de relais se faisant davantage d'homme à homme. De fait, elles déclarent des niveaux de connaissances systématiquement moins satisfaisants que les hommes, en particulier dans les domaines de l'analyse économique et financière et du juridique.
Au final, toutes ces composantes se conjuguent pour former un "ciel de plomb"2 , c'est-à-dire une accumulation de discriminations et de différences qui aboutissent à des inégalités très importantes entre hommes et femmes. C'est donc à tous ces différents niveaux qu'il faudra agir pour améliorer la place des femmes dans les IRP, une démarche que rend indispensable la nouvelle mesure inscrite dans la loi Rebsamen. Pour cela, les représentants du personnel doivent réinterroger leurs pratiques et trouver des solutions adaptées à leur mode de fonctionnement.
Tout d'abord, il peut être judicieux de dresser un état des lieux. Quelle est la part des femmes chez les représentants du personnel ? Mais aussi quels types de mandats occupent-elles, quelles fonctions exercent-elles, à quelles commissions participent-elles, de quels dossiers sont-elles chargées, quelles tâches réalisent-elles ? Ce bilan quantitatif et qualitatif doit permettre d'identifier les freins à l'accès des femmes à la représentation du personnel. Pour ce faire, écouter les femmes de l'entreprise (qu'elles soient ou non élues du personnel) constitue un matériau irremplaçable.
En second lieu, il importe de travailler sur les modes de sollicitation et de sélection des candidatures. De nombreux RP s'engagent sur un mandat parce qu'on les a sollicités pour cela ; c'est le cas dans l'enquête pour 53 % des hommes, mais pour seulement 48 % des femmes. Des phénomènes de reproduction sociale amènent souvent des hommes en responsabilité à solliciter... des hommes. Travailler plus collectivement et dans une plus grande transparence la construction des listes électorales, y compris en posant l'épineuse question du cumul des mandats, peut permettre de diversifier et féminiser les profils des RP. Convaincre de nouveaux salariés, des femmes mais pas seulement, de s'engager sur un mandat passe aussi par la qualité de l'accompagnement que l'on pourra leur proposer : formation, tutorat, "marrainage" sont autant de dispositifs qui pourront rassurer les futur(e)s candidat(e)s et améliorer leur intégration.
Le fonctionnement des IRP doit être interrogé pour l'adapter aux besoins et aux contraintes des candidates recherchées : horaires et lieux des réunions, sursollicitations ou exigences démesurées, temps de parole accordé aux uns et aux "unes", modes informels de circulation de l'information ou de prise de décision. Il ne s'agit rien de moins que de rendre l'instance plus accessible et plus démocratique.
Enfin, pour ne pas rester sur l'écume des inégalités, il semble central de travailler un contenu revendicatif qui prenne en compte les réalités propres aux femmes : conditions particulières d'emploi, pénibilité propre aux métiers féminins, inégalités salariales, évolution professionnelle, violences faites aux femmes ou encore prise en charge de questions de santé qui leur sont spécifiques.
Négocier un accord
La négociation d'un accord de droit syndical peut être un outil efficace pour poser ces questions qui concernent in fine l'ensemble des représentants du personnel, qu'ils soient des hommes ou des femmes. A ce titre, ils pourront s'appuyer sur l'article 4 de la loi Rebsamen, qui prévoit qu'un accord devra déterminer "les mesures à mettre en oeuvre pour concilier la vie personnelle, la vie professionnelle et les fonctions syndicales et électives, en veillant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes".
Pour conclure, rappelons que les femmes sont de plus en plus nombreuses à se syndiquer et permettent ainsi de ralentir le déclin subi par les syndicats dans la plupart des pays européens. De là à dire, pour paraphraser Aragon, que "l'avenir du syndicalisme, c'est la femme", il n'y a qu'un pas...
"Les représentants du personnel. Quelles ressources pour quelles actions ?", par Mathilde Pak et Maria Teresa Pignoni, Dares Analyses n° 84, novembre 2014. Téléchargeable sur http://dares.travail-emploi.gouv.fr, onglet "Dares - Etudes et statistiques", puis "Etudes et synthèses".
Les forces vives au féminin, par Claire Guichet, étude du Conseil économique, social et environnemental, octobre 2015. Téléchargeable sur www.lecese.fr, onglet "Travaux", puis "Travaux adoptés".