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Le « droit à la preuve » bénéficie aux victimes d’accident du travail

par Françoise Champeaux / 29 octobre 2024

La Cour de cassation admet désormais la production de preuves illicites à certaines conditions. Une jurisprudence de nature à faciliter la reconnaissance d’un accident du travail dans un contexte de risques psychosociaux.

Le « droit à la preuve ». Sous cette appellation est née une jurisprudence innovante forgée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) que l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, sa formation la plus solennelle, a fait sienne le 22 décembre 2023. Six mois plus tard, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, spécialisée dans le contentieux en Sécurité sociale, entre en scène. Dans le cadre d’un contentieux en reconnaissance d’un accident du travail, elle décide qu’un enregistrement clandestin peut être produit en justice. Si on regarde dans le rétroviseur, le procédé aurait été jugé déloyal et par suite écarté des débats. Mais aujourd’hui, à la faveur de la jurisprudence de la CEDH, un vent nouveau souffle pour les victimes qui se débattaient dans des difficultés probatoires souvent insurmontables. 

Un raisonnement en deux étapes

Dans cette affaire, un salarié subit des violences verbales et physiques du gérant de la société qui conduisent la caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) à reconnaître un accident du travail. L’employeur saisit alors le tribunal des affaires de Sécurité sociale, le Tass, devenu pôle social du tribunal judiciaire, d’une action en inopposabilité de la décision de prise en charge de la Cpam. Le contentieux se noue autour d’un enregistrement produit par le salarié, réalisé à l'insu du gérant. 
Cette preuve de l’altercation qui a eu lieu entre la victime et le gérant est parfaitement recevable, pour la deuxième chambre civile, qui trouve là l’occasion d’appliquer l’argumentation du droit à la preuve. 
Une preuve illicite peut être déclarée recevable « lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention de celui qui s'en prévaut et que l'atteinte portée aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but poursuivi ». « Sous le jargon juridique, se cache un raisonnement en deux étapes », décrypte Patrice Adam, professeur de droit privé à l’Université de Lorraine. Dans un premier temps, le juge opère un contrôle de justification consistant à se demander si la production de cette preuve était véritablement indispensable. Autrement dit, pouvait-elle être rapportée autrement ? »
Assurément pas dans cette affaire, répond la deuxième chambre civile, qui constate pourtant la présence de témoins au moment des faits, trois collègues de travail et une cliente de l'entreprise, associée avec le gérant dans une autre société. 
Sauf que « le lien de subordination » pour les premiers et « le lien économique » avec le gérant pour la seconde pouvaient légitimement faire douter la victime « qu’elle pourrait se reposer sur leur témoignage », concluent avec lucidité les juges. « Une fois cette étape franchie, poursuit Patrice Adam, les juges se livrent à un contrôle de proportionnalité et procèdent à une balance des intérêts en présence.  Ils doivent se poser la question suivante : la production d’éléments probatoires illicites porte-t-elle une atteinte excessive aux droits de la partie adverse ? » 

Etablir la réalité des violences

Dans cette affaire, il y a certes violation de la vie privée de l’employeur, car il a été enregistré à son insu. Mais cette atteinte était, pour la deuxième chambre civile, « strictement proportionnée au but poursuivi d'établir la réalité des violences subies par elle [la victime ] et contestées par l'employeur ». Ce test de proportionnalité réussi rend la preuve recevable. 
Peut-on y voir une bonne nouvelle pour les victimes d’accidents du travail ? Pour Michel Ledoux, avocat associé au cabinet Michel Ledoux, « cette jurisprudence n’est pas totalement décisive car les victimes d’accidents du travail bénéficient déjà d’une présomption d’imputabilité lorsque ceux-ci ont lieu au temps et au lieu du travail. Toutefois, la production d’un enregistrement clandestin facilitera sans nul doute la preuve d’un accident du travail sur la base d’un risque psycho-social, suite à un entretien violent où il n’y a pas de témoins, ou encore pour corriger un témoignage inexact ». Là réside l’avancée pour les victimes, et elle est de taille.