Ehpad : souffrance à tous les étages
Les entreprises privées gérant des Ehpad sont souvent montrées du doigt pour leurs conditions de travail. Mais le secteur non lucratif n’offre pas forcément la garantie que les choses se passent mieux. Enquête au sein du groupe associatif Arpavie, où nombre de salariés se disent au bout du rouleau.
En novembre dernier, dans l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Antoine de Saint-Exupéry, à Villejuif (Val-de-Marne), une altercation entre deux membres du personnel fait monter la tension d’un cran. A la suite d’un différend avec une cadre de santé, une infirmière s’est précipitée à l’étage et a ouvert une fenêtre, avant qu’une collègue parvienne à la calmer. La médecine du travail n’a pas qualifié l’incident de tentative de suicide. Mais pour un élu du comité social et économique du groupe Arpavie, qui gère cette résidence, voilà qui montre le climat au sein de l’association : « Une salariée ouvre une fenêtre dans un contexte de forte tension et on craint qu’elle se suicide. »
La direction des ressources humaines indique avoir mis en place une cellule d’écoute pour les salariés « avec l’appui d’un psychologue extérieur ». On peut douter que la mesure soit suffisante. Depuis la mise en arrêt maladie de l’infirmière, il n’y a plus de titulaire à ce poste au sein de l’Ehpad. En 2018, le turn-over du personnel y atteignait 25 %. Un problème récurrent au sein d’Arpavie, puisque plus de la moitié des effectifs de ce groupe de 3 000 salariés a moins de cinq ans d’ancienneté et 37 % moins de deux ans de maison.
Grosse charge de travail
Avec la fusion de trois structures en 2016, Arpavie est devenu le premier groupe associatif gestionnaire de résidences pour personnes âgées. « Nous sommes devenus gros d’un coup », admet Morgane Moineau, la DRH. Depuis, la situation n’a fait que se dégrader, d’après les témoignages recueillis par Santé & Travail. En cause, l’augmentation de la charge de travail et un éloignement des réalités de terrain de la part du siège. Selon les chiffres de la DRH, le taux d’absentéisme – entre 10 et 23 % selon les structures – et le nombre d’accidents du travail sont en léger recul en 2018. Mais le nombre de CDD a bondi de 20 % la même année.
La montée des risques psychosociaux et les départs en cascade ont atteint toutes les catégories de personnel, y compris les directions. Le directeur de l’établissement de Villejuif et son adjoint, épuisés, sont tous les deux en arrêt maladie, le premier depuis juillet 2019, le second depuis novembre. « On dit souvent que l’associatif, c’est mieux ; en réalité, c’est faux, souligne un représentant du personnel. On a beaucoup entendu parler des conditions de maltraitance des résidents dans les Ehpad lucratifs. Les risques sont les mêmes dans l’associatif, et la situation au sein d’Arpavie montre que les salariés eux-mêmes sont maltraités. »
Epuisement professionnel
Mandaté par le CHSCT de l’époque, le cabinet Syndex a rendu son rapport d’expertise sur les RPS en octobre dernier. Les experts relèvent notamment que « certains directeurs ne se sentent pas en adéquation avec la structure Arpavie et les aspects managériaux qui en découlent ». A l’Ehpad de Saint-Omer (Pas-de-Calais), l’actuelle directrice est suivie depuis février 2019 par un psychologue pour syndrome d’épuisement professionnel. Elle qui tient aux valeurs humaines se dit dégoûtée du métier. Compte tenu de l’absentéisme au sein de l’encadrement, elle a assuré les fonctions de secrétaire, comptable, régisseur et directrice. « J’étais très seule, confie-t-elle. Pendant un an, je terminais à 21 heures pour redémarrer à 8 heures. Je dormais à la résidence en semaine et ne rentrais chez moi que le week-end. » En juillet dernier, la médecin du travail l’a déclarée en inaptitude temporaire.
Cette directrice a surtout dû faire face à un conflit interne au sein de l’équipe des aides-soignantes, qui durait depuis plusieurs années. L’une d’elles est jugée maltraitante avec les résidents. Elle est parvenue à négocier une rupture conventionnelle, avec un chèque de 40 000 euros à la clé et une formation. Un dénouement qui met en colère le personnel : « On peut être maltraitante, rester en poste et instaurer un climat de peur au sein de l’équipe pendant des années et négocier grassement son départ ! », dénonce une salariée.
« Management maltraitant »
Au sein de l’établissement de Champfleury, à Sèvres (Hauts-de-Seine), c’est la directrice de l’établissement qui met à bout les salariés. Crises d’angoisse et arrêts maladie se succèdent. Dix-sept employés sur la cinquantaine d’équivalents temps plein que compte la résidence finissent par claquer la porte. Avec un turn-over de 35 %, l’Ehpad de Sèvres bat le record. Le cabinet Syndex y décrit un « management maltraitant » depuis 2015, date de l’arrivée de cette directrice. Selon les experts, le harcèlement et les RPS n’ont pu « se développer et perdurer qu’avec l’assentiment d’une partie du comité de direction de l’établissement, certains y prenant une part » et à cause d’une « complète défaillance dans le contrôle et l’évaluation par la hiérarchie du manager incriminé ». Le directeur territorial, relais du siège, reste aveugle aux signaux de souffrance. Comptable, lingère, agent technique, soignants, chargé d’accueil… tous en témoignent, comme cette chargée des admissions, en arrêt maladie : « S’il le faut, vous pleurerez tous les jours, on n’est pas là pour vous ménager », lui aurait un jour asséné la directrice.
Formation et plan d'action contre les RPS
Le rapport Syndex déconseille de maintenir celle-ci à quelque poste de management que ce soit. « Des actions sont en cours », explique laconiquement Morgane Moineau. Elle précise par ailleurs qu’une formation à distance sur les RPS pour les encadrants a été mise en place, ainsi qu’une ligne téléphonique de soutien psychologique pour les situations d’urgence. Un plan d’action contre les RPS devrait prochainement voir le jour. C’est peu de dire que les représentants syndicaux, qui ont tiré le signal d’alarme dès 2018, attendent beaucoup du nouveau management à la tête d’Arpavie. Laure de La Bretèche, ancienne directrice déléguée des retraites et de la solidarité à la Caisse des dépôts, a été nommée présidente du groupe en novembre. Elle sera secondée par un nouveau directeur général. Le dossier de la souffrance au travail les attend.