Elagage : un décret sous haute tension
Alors que l'élagage des arbres à proximité des lignes électriques provoque régulièrement des accidents mortels, un décret précisant les distances de sécurité est en discussion. Mais ERDF, gestionnaire du réseau de distribution d'électricité, fait de la résistance, car elle devra couper plus souvent le courant.
Un salarié d'une entreprise d'élagage taillait une haie de cyprès sur une propriété privée. La haie, haute de 5 mètres, se trouvait sous une ligne électrique aérienne de 12 000 volts. Depuis le chariot à flèche télescopique mis à sa disposition par le propriétaire, le salarié utilisait une perche équipée d'une scie. La perche a touché la ligne. Le salarié est mort électrocuté. C'était en 2008. Entre 2004 et 2008, au moins quatre accidents mortels de ce type et sept blessés graves ont été déclarés.
Aujourd'hui, un nouveau décret est en cours d'élaboration afin de préciser les distances de sécurité à respecter pour élaguer des arbres à proximité des lignes aériennes. Quand les entreprises d'élagage travailleront en dessous de ces distances, le courant devra être coupé durant l'intervention. Or ces coupures de courant n'enchantent pas du tout ERDF, le gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité, qui fait pression pour que le texte soit moins contraignant que les préconisations des ministères du Travail et de l'Agriculture. Et la filiale d'EDF a sorti le grand jeu en matière de lobbying.
EDF joue sur le flou juridique
Pour l'heure, c'est encore un flou juridique qui encadre ces interventions. Jusqu'en 1981, il n'est précisé nulle part quelles sont les distances de sécurité à respecter pour élaguer des arbres à proximité des lignes aériennes. Le décret qui s'applique généralement par défaut date de 1965 et concerne les travailleurs du BTP qui interviennent sur des immeubles proches des lignes. Le texte définit des distances de sécurité de 3 mètres pour les lignes de moins de 50 000 volts et de 5 mètres pour les tensions supérieures. Quand ces distances ne peuvent être respectées, l'entreprise d'élagage doit demander une procédure de consignation au gestionnaire des lignes électriques, celui-ci déclarant par écrit qu'il a procédé à la coupure de l'alimentation de l'énergie sur les lignes concernées. Une fois les travaux terminés, l'entreprise d'élagage prévient le gestionnaire de la ligne, qui rétablit le courant. Mais il faut attendre 1981 pour qu'un décret stipule noir sur blanc que ces mesures s'appliquent aussi à l'élagage. Pas de quoi pour autant faire taire les discussions que le sujet suscite.
Car EDF décide rapidement d'appliquer un décret paru en 1982. Celui-ci est destiné notamment aux électriciens qui interviennent sur les ouvrages de distribution de l'électricité (lignes ou pylônes), et EDF entend qu'il soit également appliqué aux travailleurs qui élaguent les arbres non loin des lignes. Problème : selon ce décret, il est possible de travailler jusqu'à 30 centimètres de la ligne sans couper le courant pour les lignes de moins de 1 000 volts et, au-delà, les distances sont déterminées en fonction de la tension. A titre d'exemple, la distance minimale d'approche pourrait être de 80 centimètres pour une tension de 63 000 volts. Or, si les électriciens sont des professionnels de l'électricité, formés au risque électrique et équipés de matériel isolant, ce n'est pas le cas des élagueurs, employés généralement par des entreprises sous-traitantes. Mais EDF a longtemps considéré que l'élagage, ayant pour vocation d'éviter les perturbations électriques, était une activité d'entretien des lignes et relevait donc du décret de 1982. Avant sa fusion avec l'Inspection du travail du régime général, en 2009, l'Inspection du travail agricole a pas mal bataillé pour faire appliquer le décret de 1981, plus protecteur que celui de 1982.
Jusqu'au jour où une inspectrice du travail dresse, dans l'Oise, un procès-verbal sur la base du décret de 1981, suite à un accident mortel. Le jugement rebondit de cour d'appel en Cour de cassation, celle-ci finissant par établir que c'est le décret de 1965, dont les dispositions ont été étendues en 1981, qui s'applique aux élagueurs. Et non celui de 1982.
Un nouveau texte plus protecteur
Conséquence : en mars 2009, les ministères de l'Agriculture et du Travail rédigent une circulaire destinée à l'Inspection du travail, pour rappeler l'historique des textes existants et les dangers de distances de sécurité réduites. Parallèlement, le ministère du Travail engage une réflexion sur le sujet au sein du Conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct). Dans les deux cas, la nécessité de clarifier définitivement la situation se confirme. « En travaillant sur la circulaire, nous nous sommes rendu compte que le décret de 1981 était certes plus protecteur, mais qu'il avait été rédigé un peu vite, explique Dominique Dufumier, chef du bureau de la santé et de la sécurité du travail, au ministère de l'Agriculture, qui a piloté la rédaction de la future réglementation. Il transposait aux élagueurs des mesures propres aux ouvriers du BTP, alors que le travail n'est pas le même. Un arbre, ce n'est pas un bâtiment, c'est vivant, il faut tenir compte des branchages et feuillages - qui sont conducteurs de courant et ne cessent de pousser - pour mesurer les distances de sécurité, ce qui n'était pas le cas. »
Un nouveau texte est donc actuellement en préparation, qui prévoit de faire passer les distances de sécurité de 3 à 2 mètres pour les lignes de moins de 50 000 volts, et de 5 à 4 mètres pour les lignes les plus puissantes, auxquelles s'ajoute la distance d'amorçage (c'est-à-dire la distance à proximité de la ligne à partir de laquelle l'air devient ionisé et conducteur du courant). « Ce nouveau texte peut paraître moins contraignant, admet M. Dufumier. En réalité, il l'est davantage, car il tient compte de la végétation. Surtout, la mesure doit être scientifique. Avant, elle se faisait visuellement, de manière assez aléatoire. Nous souhaitons qu'elle se fasse désormais par télémétrie. »
Un texte qu'ERDF, issue de la division d'EDF en filiales, conteste. Car il l'obligerait à couper le courant sur ses lignes plus souvent. L'enjeu financier est de taille pour l'entreprise, qui fait pression pour un cadrage plus souple. « Ces nouvelles dispositions, plus contraignantes, reposent sur une analyse globale des accidents ne différenciant pas les risques des professionnels qualifiés et ceux d'intervenants occasionnels ("élagueurs du dimanche'"), ont argumenté ses représentants siégeant dans la délégation du Medef lors de la réunion du Coct du 9 avril. Elles négligent les risques nouveaux inhérents aux projets de textes (intervenants sans formation au risque électrique, confusion entre ouvrage hors tension et sous tension, pression sur l'activité induite par l'engagement de remise sous tension du réseau à l'heure dite) et elles ne mesurent pas l'impact très important des coupures pour travaux sur la population concernée, essentiellement en zone rurale. » L'entreprise propose que la modification du Code du travail privilégie une approche fondée sur la connaissance et la maîtrise du risque électrique par les personnels des entreprises d'élagage ayant reçu une qualification spécifique, et sur des distances de sécurité modulées en fonction des différentes situations rencontrées.
« Laisser-aller »
« La formation est un élément important, mais elle ne peut être considérée comme une mesure de prévention et reste incomplète au regard des principes généraux de prévention, qui ne sont pas mis en œuvre dans le cadre de l'élagage », répond Yves Bongiorno, pour la CGT, présent au Coct.
Surtout, la CGT dénonce un « laisser-aller, qui a mené à la situation actuelle ». Un arrêté technique du ministère de l'Industrie établit en effet que la végétation doit être maintenue en permanence à plus de 2 mètres des lignes, augmentés de la distance d'amorçage. Pour le syndicat, « les moyens n'ont pas été mis pour visiter régulièrement les lignes, ni convaincre les propriétaires et les mairies de la nécessité d'intervenir ». D'où l'importance d'encadrer davantage l'élagage.
Le texte devrait passer devant le Conseil d'Etat dans les prochains jours et le décret pourrait être signé par le Premier ministre à la fin du mois d'août. Sauf surprise de dernière minute, la politique de sécurité l'a emporté sur les autres considérations.