Elsa Fayner, dans la peau d'une précaire
Pour savoir ce que vivent au quotidien les salariés précaires, rien ne vaut la pratique. Un adage suivi au pied de la lettre par la journaliste Elsa Fayner, qui, pour les avoir testées, témoigne dans un livre de la pénibilité des conditions de travail.
Lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a proposé aux Français " qui se lèvent tôt " de " travailler plus pour gagner plus ". Décidée à le prendre au mot, la journaliste Elsa Fayner s'est immergée clandestinement pendant plusieurs mois dans la France de l'emploi précaire. Son but : découvrir qui travaille au salaire minimum, dans quelles conditions, avec quelles perspectives. Le résultat de son expérience vient d'être publié, sous le titre Et pourtant je me suis levée tôt...
Pour mener son enquête de terrain, cette énergique trentenaire a déposé son CV quelque peu révisé dans des agences d'intérim et ANPE de Lille, loin de Paris où elle exerce sa vraie profession. Bien entendu, elle n'y dévoile rien de ses études à Sciences Po, ni de ses reportages pour la revue Actualités sociales hebdomadaires. Cette discrétion l'aide à passer des entretiens d'embauche pour trois nouvelles carrières successives : télévendeuse, préparatrice de sandwichs et femme de chambre. En revêtant les tabliers de ces différents emplois sous-payés, la journaliste a obtenu la confirmation qu'il n'est pas toujours souhaitable de travailler plus.
" Fatigue psychologique "
" Même si c'est une activité très sédentaire, le télémarketing peut avoir au final des effets très pervers, explique la jeune femme au sujet de son premier emploi, qui consistait à vanter les mérites d'un forfait téléphonique. Certes, on est au chaud et assis, mais à la longue on finit par avoir mal aux jambes, au ventre, à la mâchoire et aux oreilles en raison du casque que l'on porte toute la journée. " Cependant, l'aspect le plus pénible de ce travail a été la " fatigue psychologique ". Car cette activité, exercée en France par 200 000 salariés, nécessite de " désapprendre à parler ", quitte à " oublier les règles de politesse en forçant les correspondants à vous écouter au téléphone ". Ainsi, précise la journaliste, il vaut mieux " utiliser la formule "Vous avez un instant à m'accorder ?", qui appelle un "oui" en réponse, que "Avez-vous un instant à m'accorder ?", qui laisse le choix ". Bien entendu, la pression du chronomètre ou des managers pour un meilleur rendement n'arrange rien.
Sur son passage comme vendeuse de sandwichs à la cafétéria d'Ikea, Elsa Fayner est moins critique. Selon elle, la notoriété et la visibilité publique de ce genre de structures commerciales modèrent les entorses au droit du travail. En revanche, lorsqu'elle vous parle de son mois d'essai comme employée d'étage pour un hôtel quatre étoiles, son appréciation diffère grandement. " Pousser de lourds et hauts chariots métalliques, se pencher, passer l'aspirateur, laver les sols, s'agenouiller devant les W-C, porter des sacs de draps, courir, se dépêcher dans une jupe étroite " sont des gestes éprouvants, surtout quand on est menue et plutôt petite comme Elsa Fayner.
Avec sa douleur chronique au poignet, une de ses collègues âgée de 28 ans se sent déjà " comme une vieille ". Pour cette autre employée, " ce sont les cervicales qui ont trinqué à force de porter les ballots de linge sur l'épaule ". En démissionnant, celle-ci espère " se débarrasser de ses bleus, bosses, égratignures, coupures et incisions en tout genre récoltés à longueur de journée ", relate la journaliste.
Depuis la sortie de son livre, Elsa Fayner a regagné Paris et un travail physiquement moins épuisant. Mais elle continue de voir certains de ses anciens collègues, dont plusieurs affichent des visages aux traits tirés. Peut-être peuvent-ils travailler plus pour gagner plus, mais à quel prix ?