« Les élus sont exposés à des risques que l’on pourrait qualifier de militants »
Surcharge de travail, manque de moyens, sentiment d’impuissance : les représentants du personnel sont aussi exposés à des risques psychosociaux. Pour le sociologue Frédéric Rey, les ordonnances Macron ont fortement dégradé leurs conditions de travail.
La fatigue militante des représentants du personnel vient de faire l’objet d’une nouvelle étude. Que sait-on aujourd’hui de la situation de ces élus, de leur état de santé ?
Frédéric Rey : Sur le plan scientifique et statistique, on sait encore peu de choses. L’épuisement des équipes d’élus a longtemps été invisibilisé dans la culture syndicale, qui a eu tendance à relativiser – et parfois même à valoriser – le coût de l’engagement militant. Mais aujourd’hui, les représentants du personnel s’autorisent un peu plus à témoigner des difficultés liées à l’exercice de leurs mandats. Dans le cadre de mes enquêtes, et sans être directement interrogés à ce propos, certains évoquent spontanément leur fatigue, leur charge mentale, leur impression d’être submergés, épuisés. Ils sont eux aussi exposés à des risques que l’on pourrait qualifier de « militants », et qui ressemblent par certains aspects et de plus en plus aux risques professionnels.
Quels sont les facteurs de risques psychosociaux auxquels sont confrontés les représentants du personnel dans l’exercice de leur mandat ?
F. R. : Certains représentants du personnel n’arrivent plus à s’épanouir dans leur fonction. Stressés, démunis, ils se plaignent d’être dans une situation de travail empêché. Cela s’ajoute à la discrimination, toujours tenace, dont la plupart sont toujours victimes. Ils expriment un sentiment d’impuissance quand ils échouent à améliorer les salaires ou les conditions de travail. Ils sont aussi confrontés à de la surcharge de travail. Happés par les sujets techniques, les réunions avec les directions, ils perdent le contact du terrain, ce qui ajoute à leur malaise. Car quand vous coupez un syndicaliste du travail réel, vous le privez de ses ressources, de sa légitimité. C’est très pervers. On peut dresser des parallèles avec les métiers du soin et le monde médico-social. Ce sont des univers vocationnels, où l’on s’engage au nom de valeurs, mais avec peu de moyens et une reconnaissance fragile.
A quoi sont dus ces risques ?
F. R. : En réduisant le nombre d’élus, notamment de proximité, et en supprimant les CHSCT, les ordonnances Macron de 2017 ont considérablement dégradé les conditions de travail des élus du personnel. Cette réforme s’est elle-même inscrite dans un mouvement de professionnalisation du dialogue social, avec des dossiers à traiter de plus en plus complexes, nécessitant d’être bien formés. Si l’âge plus l’avancé des militants peut aussi expliquer une forme de fragilité supplémentaire, notre programme de recherche SyndiCARE va permettre de mieux comprendre les profils et configurations de travail à risque pour les représentants du personnel.
En quoi cette fatigue militante fragilise-t-elle le dialogue social ?
F. R. : L’état de la démocratie sociale dépend de l’état des personnes qui la font vivre. Aujourd’hui, la fatigue militante se traduit par des démissions et donc une difficulté croissante à présenter des candidats aux élections professionnelles. On ne peut pas tenir un discours qui fait la promotion du dialogue social et d’organisations syndicales fortes alors que les réalités sont à l’opposé.
Que peuvent faire les organisations syndicales ?
F. R. : Les organisations syndicales sont conscientes du problème. L’objectif de notre recherche sera de dresser un diagnostic afin d’identifier les bonnes pistes. En tout cas, la solution ne peut passer par la culpabilisation des élus, l’individualisation des réponses. Les élus pourraient être mieux formés collectivement à se préserver, ainsi que leur santé. Des analyses de pratiques ou des groupes de parole pourraient aussi être bénéfiques. Plus globalement, le sentiment d’appartenir à un collectif redonne du sens à l’engagement militant. Nos recherches viseront à estimer dans quelle mesure cet engagement peut être un facteur de bonne santé. Il ne faut pas oublier qu’en s’impliquant dans le syndicalisme, des personnes ayant subi des burn-out ont rebondi et récupéré leur pouvoir d’agir.
Quelles seraient les pistes pour un exercice plus serein de ces mandats exigeants ?
F. R. : Il faudrait que l’Etat accepte de redonner des moyens au dialogue social par un aménagement des ordonnances Macron. Les entreprises s’en sont souvent tenues au minimum légal. Il serait aussi nécessaire de former le grand public aux questions syndicales, si possible avant la première expérience professionnelle. Le syndicalisme doit être réhabilité comme pilier de la démocratie : au travail, les sections syndicales sont aussi importantes qu’un conseil municipal à l’échelle d’une commune. Cela contribuerait à améliorer la reconnaissance pour les élus, dont le rôle positif pour la santé au travail est avéré.
« Il faut rapprocher les élus du personnel du travail réel », entretien avec Coralie Perez, par Alexia Eychenne, Santé & Travail, 24 octobre 2024
Rendez-nous un CHSCT ! , dossier de Santé & Travail, 25 septembre 2024
Ecouter les salariés, un pouvoir d’agir pour les élus, par Annabelle Chassagnieux, Santé & Travail, 18 janvier 2024