Encore une petite réforme...
Lors de la seconde conférence sur les conditions de travail, prévue fin juin, le ministre du Travail devait présenter aux partenaires sociaux un document d'orientation sur la médecine du travail. Pas de grands bouleversements à prévoir.
La médecine du travail est-elle condamnée à des réformes a minima ? C'est la question que l'on pouvait se poser à la veille de la conférence nationale sur les conditions de travail qui devait se tenir le 27 juin. De fait, cette seconde rencontre entre le ministre du Travail, Xavier Bertrand, et les partenaires sociaux, près de neuf mois après la première du genre le 4 octobre dernier1 , devait être principalement consacrée à la réforme des services de médecine du travail. Si ce n'est qu'à l'heure où nous écrivions ces lignes, les informations obtenues sur le projet du gouvernement ne laissaient pas entrevoir de changements radicaux. "Il n'y a pas de remise en cause des mesures adoptées en 2004, mais un prolongement de la réforme afin de renforcer l'efficacité de la médecine du travail, qui est au coeur d'une problématique de la santé au travail de plus en plus prégnante", glissait un des responsables du dossier au ministère.
"Crise majeure"
Un positionnement qui peut surprendre, alors même que les différents rapports rendus ces derniers mois ont mis en exergue les profondes difficultés rencontrées par cette institution. Dans leur rapport au ministre sur le bilan de la réforme de 20042 , les Prs Conso et Frimat parlent carrément de "crise majeure de la médecine du travail""Les signes de dysfonctionnements se sont multipliés au cours des dernières décennies : forte augmentation des maladies professionnelles, désaffection pour le métier, inapplication de la loi, déficit de connaissances, éparpillement des responsabilités...", constatent-ils.
Les éléments de réforme mis sur la table par le ministre du Travail devraient donc se situer en retrait par rapport aux propositions de ces différents rapports et laisser sur leur faim les acteurs de la prévention.
Ainsi, sur la gouvernance de la médecine du travail, alors que l'ensemble des partenaires sociaux se plaint de la gestion patronale, le gouvernement n'entendait pas proposer de gestion paritaire. Peine perdue, donc, pour la CFE-CGC, qui n'a cessé de stigmatiser la gestion des services de santé au travail par les seuls employeurs en mettant en avant plusieurs détournements de fonds. Il n'est pas question non plus de rattacher la médecine du travail à l'Assurance maladie, comme le préconise le Conseil économique et social dans un avis3 . Et encore moins de créer une agence nationale de santé au travail indépendante, comme le réclame le Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST).
Les seules véritables modifications envisagées sur la gouvernance étaient de confier davantage d'attributions aux comités régionaux de prévention des risques professionnels, afin que les orientations nationales sur la médecine du travail puissent être déclinées en fonction des caractéristiques régionales. Cette volonté d'une gouvernance au plus près du terrain devrait également se concrétiser par une possible contractualisation entre les services de santé au travail et les caisses régionales d'assurance maladie, chargées de la prévention des risques professionnels.
En finir avec l'aptitude médicale
Changement plus spectaculaire mais attendu, le ministère du Travail semblait bien décidé à en finir avec la sacro-sainte détermination de l'aptitude au travail, critiquée aussi bien par le rapport Gosselin4 que par celui des Prs Conso et Frimat. Mais là encore, en conservant probablement cette procédure à l'embauche et sur certains postes dits "de sécurité", il ne va pas complètement au bout de la logique de l'adaptation du travail à l'homme prônée par les tenants d'une mission "exclusivement préventive" de la médecine du travail.
Témoin de ces ambiguïtés, la place de la visite médicale. Sa périodicité ne devrait plus faire l'objet d'un encadrement réglementaire. Il reviendrait au médecin du travail de définir les modalités du suivi des salariés, en fonction de leur état de santé et des caractéristiques du poste occupé. Et cela en s'appuyant sur des référentiels de suivi des populations. Si ces dispositions devraient plutôt être bien accueillies par la profession, leurs motivations, en revanche, sont loin d'être partagées.
Elles sont déjà dictées par des considérations démographiques. Dans les dix années à venir, plus d'un quart des quelque 6 000 médecins actuellement en exercice devrait partir à la retraite. Certaines visites pourraient d'ailleurs être assurées par une infirmière du travail. Des expérimentations de transfert des tâches du corps médical vers les infirmières, autorisées par le ministère du Travail, sont déjà en cours. Mais elles sont loin de susciter l'unanimité chez les acteurs de la santé au travail.
Mais surtout, pour le ministère, la médecine du travail ne peut se résumer à la visite médicale : elle doit être plus tournée vers la prévention des risques. "Les médecins du travail doivent s'inscrire davantage dans une logique de santé publique", soulignait, début juin, Jean-Denis Combrexelle, directeur général du Travail, lors d'une manifestation organisée par l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis). Evidemment, cette analyse n'est pas prisée par ceux qui veulent développer aujourd'hui la clinique médicale du travail, thème fort du congrès de la profession qui s'est déroulé début juin à Tours, et pour qui c'est dans le cabinet médical que les praticiens vont pouvoir repérer notamment la souffrance mentale.
En outre, si le ministère veut vraiment inscrire la médecine du travail dans une logique de santé publique, pourquoi ne reprend-il pas la proposition des différents rapports obligeant le médecin du travail à formaliser par écrit ses préconisations et contraignant l'employeur à répondre, lui aussi par écrit, sur les suites qu'il compte leur donner ?
Déconnecter la cotisation du nombre de visites
Cela pourrait changer également du côté du financement. A la veille de la conférence, le gouvernement envisageait de déconnecter le montant des cotisations des entreprises du nombre de visites médicales. Il était également question d'instaurer une tarification plus incitative, en établissant un lien entre le montant de la cotisation et le niveau de risques dans l'entreprise. Il reviendrait alors aux branches professionnelles de fixer ce taux. Il était aussi prévu d'inciter les partenaires sociaux à ouvrir des négociations concernant les problèmes de suivi médical pour certaines catégories de salariés : saisonniers, ouvriers de la sous-traitance, travailleurs à domicile, etc.
Un nouveau chantier pour les syndicats et le patronat, alors même qu'à la mi-juin ils n'avaient toujours pas engagé les discussions souhaitées par Xavier Bertrand, lors de la première conférence sur les conditions de travail, concernant les trois thèmes suivants : dialogue social dans les TPE-PME, renforcement du rôle des CHSCT et procédure d'alerte. Ce qui ne manque pas d'agacer certains responsables du dossier : "Si l'on veut avancer sur la santé au travail, l'Etat doit prendre ses responsabilités, mais les partenaires sociaux également."
- 1
Voir "Conférence sociale : négociations tous azimuts sur les conditions de travail", Santé & Travail n° 61, janvier 2008.
- 2
Voir "Médecine du travail : un rapport propose des mesures d'urgence", Santé & Travail n° 60, octobre 2007.
- 3
Voir "Le CES donne son avis sur la médecine du travail", Santé & Travail n° 62, avril 2008.
- 4
Voir "Vers une réforme de la médecine du travail ?", Santé & Travail n° 58, avril 2007.