Enquête Sumer 2017 : des évolutions contrastées
Si l'exposition des salariés à certaines contraintes physiques a globalement baissé depuis vingt ans, l'intensité du travail demeure élevée, selon les premiers résultats de l'enquête Sumer 2017. Et les données sont préoccupantes sur le risque cancérogène.
En première lecture, la nouvelle enquête Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels (Sumer) pose question : faut-il conclure de ses résultats que les conditions de travail dans le secteur privé se seraient améliorées, comme certains titres de presse l'ont annoncé ? Rien n'est moins sûr, et les auteurs de cette étude publiée par la direction de l'Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail restent prudents, en évoquant plutôt des évolutions "contrastées" sur les vingt dernières années.
La quatrième édition de Sumer, réalisée en 2017 et dont les résultats ne couvrent, pour le moment, que le secteur privé, montre ainsi des indicateurs variables sur l'exposition au risque chimique, qui touche toujours un tiers des salariés. Les ouvriers demeurent la catégorie professionnelle la plus concernée, avec 61 % des ouvriers qualifiés et 56 % des ouvriers non qualifiés. Depuis 1994, on observe pourtant une diminution des expositions dans l'industrie (- 6 points) et, surtout, dans l'agriculture (- 15 points). C'est sans doute le signe d'une prise de conscience des effets toxiques des pesticides. Mais la présence importante d'agents chimiques dans la construction fait que 58 % des salariés du secteur sont impactés - un chiffre en progression par rapport à 1994.
Le risque chimique s'accroît dans les services
Le secteur des services connaît, lui aussi, une hausse du nombre de salariés exposés, qui passe de 25 % à 29 %. Les auteurs de l'étude expliquent cette augmentation par le développement des métiers d'agent de nettoyage, d'aide ménagère et d'aide à domicile, qui se servent de produits chimiques pour le ménage et la désinfection. Et encore 15 % des travailleurs sont en contact avec au moins trois substances chimiques différentes. Cette multi-exposition a reculé dans l'agriculture, mais elle a augmenté de 11 points chez les ouvriers qualifiés. Les expositions aux produits chimiques cancérogènes continuent d'être préoccupantes. Elles n'ont pas diminué depuis 2010, touchant plus de 1,8 million de salariés.
"On bute sur les limites de la politique de substitution. La mise à disposition de protections individuelles s'est développée, mais ce n'est pas suffisant", commente Thomas Coutrot, responsable du département Conditions de travail et santé de la Dares. "Cette stagnation des chiffres n'est pas une bonne nouvelle", pointe de son côté Nicolas Sandret, ancien médecin-inspecteur du travail, qui a été l'un des piliers du déploiement de Sumer (voir l'interview page suivante). "Des travaux d'analyse à venir devraient permettre de savoir si certaines expositions aux produits cancérogènes sont en émergence", poursuit-il.
Quant au nombre de travailleurs exposés aux agents biologiques, il progresse fortement, passant de 10 % en 1994 à 19 % en 2017. "Cela ne veut pas forcément dire que les risques biologiques ont augmenté, mais plutôt qu'ils sont mieux repérés", nuance toutefois Sarah Memmi, sociologue à la Dares et cosignataire de l'étude. Cette recrudescence a en effet été observée à partir de 2010, juste après la pandémie grippale de 2009 qui a sensibilisé les préventeurs et les salariés sur le sujet. Quoi qu'il en soit, près d'un salarié sur deux dans le secteur agricole ainsi que la moitié des employés du commerce et des services sont concernés par le risque biologique.
Moins de manutention manuelle grâce aux aides mécanisées
A l'exception des nuisances sonores, qui ont crû de quelques points en vingt ans, touchant désormais 32 % des travailleurs, la plupart des expositions aux contraintes physiques sont en recul. La manutention manuelle de charges est encore dans le quotidien de 35 % de salariés ; cependant, dans tous les secteurs - hormis l'agriculture -, une baisse est constatée, sous l'effet du développement des aides mécanisées. La part des salariés qui travaillent debout ou piétinent pendant de longues plages horaires diminue, mais ils sont de plus en plus nombreux à le faire sur de courtes périodes. Le nombre de ceux qui effectuent des tâches répétitives pendant 10 heures ou plus par semaine décroît également, notamment en raison de la rotation du personnel sur les postes. La proportion de salariés exposés à ce travail répétitif pendant moins de 10 heures reste stable depuis vingt ans, avec 7 % de personnes concernées.
En 2010, une question supplémentaire, portant sur les contraintes posturales, avait été intégrée à l'enquête. En 2017, 19 % des salariés sont soumis à des postures qui forcent sur leurs articulations. On note une augmentation importante chez les ouvriers (+ 5 points), qui est encore plus marquée chez les agriculteurs (+ 16 points). "Il y a globalement des améliorations significatives pour les contraintes physiques les plus intenses", constate Thomas Coutrot, qui estime toutefois nécessaire de mettre en balance ces résultats avec d'autres, comme ceux de l'enquête Conditions de travail - complémentaire de Sumer et toujours menée par la Dares. Or cette dernière ne montre pas de repli de la pénibilité physique. Et pour cause : "La pénibilité physique ne peut être considérée isolément des contraintes organisationnelles, explique-t-il. Porter une charge n'a pas les mêmes conséquences si le salarié a le temps de se positionner, de solliciter l'aide de ses collègues, ou bien s'il est sous pression et qu'il lui faut faire très vite." Or, selon Sumer 2017, le contexte organisationnel est "toujours très contraint". Un quart des salariés déclarent travailler "toujours" ou "souvent" plus que l'horaire prévu ; pour un quart également, les horaires varient d'un jour sur l'autre, tandis que 18 % font 40 heures ou plus.
Forte exposition à des facteurs de risques psychosociaux
Outre ces contraintes horaires, l'intensité du travail, qui est un facteur de risques psychosociaux (RPS), reste élevée. Environ un tiers des salariés subissent au moins trois contraintes de rythme - cadence automatique d'une machine, normes de production ou délais à respecter, demande extérieure obligeant à une réponse immédiate. La proportion de salariés disant devoir fréquemment interrompre une tâche pour en effectuer une autre imprévue est passée de 46 % en 1994 à 58 % en 2017. Plus de 66 % des salariés considèrent qu'on leur demande de travailler très vite et 35 % jugent qu'on exige d'eux une quantité excessive de travail, soit des hausses respectives de 3 et 4 points entre 2003 et 2017. Enfin, 30 % des salariés assurent ne pas disposer du temps nécessaire pour faire correctement leur travail, un chiffre stable depuis 2003.
Le manque d'autonomie, autre cause de RPS, est signalé par de plus en plus de salariés. En 2017, 42 % d'entre eux n'ont pas la possibilité de faire varier les délais fixés. Le job strain est en augmentation depuis 2003. Cette tension au travail - c'est-à-dire une forte charge psychologique associée à une faible latitude décisionnelle - est "prédictive de la dépression, de troubles cardiovasculaires ou de troubles musculo-squelettiques", rappelle la Dares.
Malgré tout, l'étude relève une "forte satisfaction au travail". Près de neuf salariés sur dix se déclarent satisfaits dans l'ensemble de leur travail - ce sentiment pouvant englober aussi la satisfaction d'avoir un emploi. Ceux qui s'estiment en butte à des comportements hostiles au travail (comportements méprisants, atteintes dégradantes, déni de reconnaissance du travail) sont moins nombreux en 2017 qu'en 2010 : 15 %, contre 22 %. Reste que près de 3 millions de travailleurs y sont encore exposés. "Les formes les plus virulentes des RPS sont en recul et reviennent au niveau de 2003. On peut penser que la sensibilisation des entreprises produit des effets", avance Thomas Coutrot. La proportion de salariés affirmant manquer de moyens pour faire correctement leur travail - un déterminant du "travail empêché" et de la souffrance au travail - reflue significativement. "Ces résultats sur les RPS nous interpellent au regard des remontées des médecins", reconnaît Sarah Memmi. Compte tenu des alertes des cliniciens sur le nombre de salariés en souffrance, la Dares prévoit d'organiser une journée de réflexion sur le décalage entre les données chiffrées et la clinique.
"Comment ont évolué les expositions des salariés du secteur privé aux risques professionnels sur les vingt dernières années ? Premiers résultats de l'enquête Sumer 2017", par S. Memmi, E. Rosankis, N. Sandret, P. Duprat, M. Léonard, S. Morand, V. Tassy, Dares analyses n°41, septembre 2019.