Enseigner, un métier devenu pénible

par Frédéric Lavignette / avril 2017

Depuis dix ans, la FSU planche sur les évolutions et la pénibilité du travail des enseignants, pour tenter d'y apporter des réponses syndicales. L'organisation a dressé un bilan de ce chantier lors d'un récent séminaire, assorti d'un livre sur le travail syndical.

Les enseignants ont longtemps pensé qu'il était indécent de se plaindre de la pénibilité, leur activité étant plutôt assimilée à un métier intellectuel", témoigne Elizabeth Labaye, ex-secrétaire nationale du Syndicat national des enseignements de second degré (Snes). De fait, ajoute-t-elle, "la culture de la santé au travail n'existait pas".

Repère

Le chantier "Travail et syndicalisme" a été ouvert par l'Institut de recherches de la FSU à l'automne 2006. Il a mobilisé des militants des différents syndicats de l'organisation ainsi que des chercheurs, des ergonomes et des sociologues. L'objectif était de développer les capacités d'agir des travailleurs. Les travaux ont porté sur les enseignants, ainsi que sur des métiers tels qu'inspecteur du travail, gardien de prison, agent de Pôle emploi ou assistante sociale de la fonction publique territoriale.

Depuis une dizaine d'années, toutefois, les langues des fonctionnaires se délient pour brosser un tableau peu reluisant de leurs conditions de travail. Particulièrement dans l'enseignement. Le chantier baptisé "Travail et syndicalisme" (voir "Repère") a contribué à libérer cette parole. Il a été entamé en 2006 par l'Institut de recherches de la Fédération syndicale unitaire (FSU), laquelle compte 200 000 adhérents, via une vingtaine de syndicats de la fonction publique. Lors d'ateliers réunissant des enseignants, des militants et des chercheurs, les évolutions du "travail réel" ont été analysées en vue d'élaborer une action syndicale cohérente face à tous les risques professionnels identifiés.

Triple usure

Et ces risques sont nombreux, tant du point de vue physique que psychique, comme l'a souligné le premier bilan d'étape du chantier, dressé à l'occasion d'un séminaire organisé à Paris les 1er et 2 février. Nombreux, mais insuffisamment pris en compte par l'administration aux dires des militants syndicaux. La plupart estiment, comme Dominique Cau-Bareille, enseignante en ergonomie à l'université Lyon 2 et membre du Syndicat national de l'enseignement supérieur (Snesup), que "le ministère ne prend pas pleinement la mesure de l'ampleur des problèmes". Pourtant, divers constats ont alerté les services depuis longtemps. A commencer par certaines enquêtes intersyndicales menées avec l'Union nationale des syndicats autonomes (Unsa) Education et le Syndicat général de l'Education nationale (Sgen-CFDT), au terme desquelles il fut réclamé une "prise en compte primordiale de la pénibilité" dans le corps enseignant. L'évidence de cette pénibilité, indique Dominique Cau-Bareille, se révèle particulièrement en fin de carrière. Elle est la conséquence d'une synergie d'usures diverses - physique, organisationnelle et mentale - éprouvées tout au long du parcours professionnel. Un cumul tel qu'au fil des années la vocation initiale se transforme parfois en rejet.

Ce poids de la profession, la maîtresse de maternelle le connaît bien, obligée qu'elle est de se maintenir debout dans sa classe, chaque jour, pendant une trentaine d'années, à piétiner, à se casser le dos au-dessus des petits, à les soulever et à les porter à bout de bras pour les consoler et calmer leurs cris.

En fin de carrière, les troubles de la circulation sanguine sont plus que courants, les problèmes de dos deviennent une gêne réelle dans l'activité, constate Dominique Cau-Bareille. Cependant, "au sein de l'institution, tout cela est tu". La médecine de prévention de l'Education nationale ne peut rien y faire, car elle est pratiquement inexistante : faute d'effectifs suffisants, il n'y a pas de suivi médical régulier du personnel. Alors les atteintes à la santé se gèrent hors institution, ce qui contribue à leur invisibilité.

Syndicaliste, un travail !

"Lorsqu'on parle du travail, on ne l'associe pas d'emblée à l'activité militante. Et pourtant, à y regarder de près, nous pouvons y trouver bien des caractéristiques du travail", affirme Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU, en préface de Syndicaliste : c'est quoi ce travail ? Militer à la FSU1 . Riche en témoignages, le livre est issu des travaux conduits depuis maintenant dix ans par les membres du chantier "Travail et syndicalisme" de l'Institut de recherches de la centrale syndicale. A lire notamment, le chapitre consacré au CHSCT et à son indispensable "syndicalisme de proximité".

  • 1

    Gérard Grosse, Elizabeth Labaye et Michelle Olivier (coord.), Institut de recherches de la FSU et Editions Syllepse, 2017.

La station debout prolongée est également l'une des caractéristiques du secondaire. De plus, avec l'avancée en âge, à trop écrire au tableau pendant des années, les douleurs à l'épaule font partie de l'héritage du métier. Et la voix s'éraille, à force de parler trop fortement, surtout dans des classes de plus en plus surchargées et bruyantes.

Anticiper le vieillissement

L'administration aurait tout intérêt à anticiper les problèmes liés au vieillissement des enseignants. Notamment, comme le suggère Dominique Cau-Bareille, en adoptant des préconisations telles que le rétablissement de la cessation progressive d'activité (CPA) pour les enseignants vieillissants, la mise en place d'emplois du temps qui leur soient adaptés - les demandes de temps partiels soumis à autorisation en fin de carrière sont de moins en moins accordées, faute de personnel -, voire tout simplement la sensibilisation des chefs d'établissement au vieillissement de leur personnel.

"L'enseignement ne fait plus rêver depuis longtemps, et pas seulement à cause des difficultés sociales et environnementales des élèves", déplore Michelle Olivier, vice-présidente de l'Institut de recherches de la FSU et représentante du Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC (Snuipp). D'ailleurs, "des places aux concours ne sont plus pourvues depuis plusieurs années, c'est un signe", note cette professeure des écoles, qui a animé un atelier "Travail sur le travail". Alors que le taux de suicides est en pleine évolution dans la profession, les abandons se multiplient, et cela quelle que soit l'avancée de la carrière. Dans un très récent rapport budgétaire, des sénateurs ont pointé un triplement des démissions d'enseignants stagiaires dans le premier degré entre l'année scolaire 2012-2013 (1,14 %) et celle de 2015-2016 (3,18 %). Quant aux défections des titulaires du second degré, elles ont doublé en sept ans, atteignant plus d'un millier en 2015-2016.

Il faut dire que la politique managériale mise en place il y a une quinzaine d'années dans l'Education nationale n'a rien fait pour motiver les prétendants au professorat ou améliorer les conditions de travail. L'intensification du travail liée au déploiement du nouveau management public dès les années 2000 a été vécue par les fonctionnaires comme une contrainte démoralisante. Un désenchantement que sont venus renforcer la mise en place de la fameuse RGPP (révision générale des politiques publiques), notamment les suppressions de postes et le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, les contraintes budgétaires, les changements de rythmes scolaires... En somme, l'obligation de faire plus, avec moins.

"La crainte de mal faire"

La création de 54 000 postes dans le premier et le second degré sur ce quinquennat a certes "redonné un peu d'air", mais les effets de cette décision mettront du temps à se faire ressentir jusque dans les établissements. D'autant que, dans le même temps, les enseignants sont soumis aux réformes et aux modifications de programmes scolaires insufflées par les gouvernements successifs. Pendant ces réformes, la pression reste permanente, en raison de "la crainte de mal faire et de ne pas réussir à faire réussir les élèves", résume Elizabeth Labaye. Un sentiment qui émerge aujourd'hui dans les CHSCT dont s'est dotée la fonction publique en 2011. Pouvoir faire un travail de qualité est aujourd'hui au coeur du débat social avec le ministère.