Entretien avec Xavier Darcos : " Contrôler le respect de la législation du travail est essentiel "
Trois mois après sa nomination en tant que ministre du Travail, Xavier Darcos est confronté au contexte difficile des suicides à France Télécom. Mais aussi à l'épineux dossier de la pénibilité, ou encore à la non-application de la réglementation. Tour d'horizon.
Explosion des risques psychosociaux, expositions professionnelles à des substances cancérogènes, persistance des troubles musculo-squelettiques... Les conditions de travail tendent à se dégrader. Que peut faire l'action publique pour remédier à cette situation ?
Xavier Darcos : On ne peut défendre la valeur travail et laisser ces questions de côté. Le ministre du Travail doit aussi être le ministre des travailleurs. Dès mon arrivée au ministère, j'ai voulu d'emblée m'emparer des questions de prévention des risques professionnels et de conditions de travail. D'une part, parce que nos concitoyens sont de plus en plus sensibles à ces sujets et, d'autre part, parce que je suis persuadé que nous pouvons avoir une discussion constructive avec les partenaires sociaux sur ce sujet.
Pour autant, je serai plus nuancé que vous sur la dégradation des conditions de travail. Les chiffres montrent en effet un recul de la sinistralité, en particulier des accidents du travail. Je veux souligner ces progrès et encourager les entreprises dans cette voie. Il n'en est pas moins vrai, cependant, que ces avancées sont occultées par l'augmentation des maladies professionnelles, notamment des troubles musculo-squelettiques, dont la prévention constitue un axe prioritaire du second plan santé-travail que nous préparons.
L'autre aspect concerne le développement des risques psychosociaux, qui a pris une tournure dramatique avec la série de suicides de personnels de France Télécom. Le caractère anxiogène de certaines mutations économiques, dans un contexte de crise, constitue un élément possible d'explication, mais nous ne pouvons pas non plus exclure l'insuffisance des politiques de management internes aux entreprises. C'est pourquoi j'ai demandé au PDG de l'entreprise d'engager toutes les mesures nécessaires à une prévention plus efficace de ces risques.
Après la publication, par Santé & Travail, d'informations sur l'inefficacité des combinaisons de protection contre le risque chimique1 , quelles mesures avez-vous prises ?
X. D. : D'abord, je voudrais souligner l'utilité des campagnes de surveillance du marché réalisées par les services de mon ministère. Une seconde campagne est d'ailleurs en cours actuellement, dont les résultats seront présentés prochainement au Conseil d'orientation sur les conditions de travail.
Les résultats des tests d'efficacité des combinaisons de protection effectués par l'Afsset [Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, NDLR] n'étaient pas satisfaisants. Nous les avons communiqués aux fabricants ou aux importateurs. Certains d'entre eux ont retiré leurs produits du marché, d'autres les ont mis en conformité avec les règles communautaires. Et puis, il y a une troisième catégorie de produits, pour lesquels je prendrai un arrêté d'interdiction que je notifierai à Bruxelles dans les prochaines semaines.
L'Afsset a également rendu un avis sur la dangerosité des fibres fines et des fibres courtes d'amiante, ainsi qu'une série de recommandations2 . Allez-vous les suivre ?
X. D. : Je vais les suivre, y compris celles sur les fibres courtes, même s'il subsiste un doute sur leur cancérogénicité. L'agence formule des recommandations de précaution et nous allons les transcrire dans un décret qui devrait être pris au début de 2010. Cela concerne l'abaissement des valeurs limites d'exposition et la généralisation de l'utilisation de la microscopie électronique pour comptabiliser les fibres dans le milieu de travail. La mise en oeuvre de ces mesures va placer la France dans le peloton de tête des pays en matière de protection des travailleurs. C'est très bien.
Toutes les campagnes de contrôle des expositions professionnelles à des substances cancérogènes montrent avec constance que le Code du travail n'est pas ou est mal appliqué. Comment remédier à ce problème récurrent ?
X. D. : Le contrôle du respect de la législation du travail est essentiel. C'est le coeur du métier du ministère du Travail. Il n'y a rien de pire, en effet, que d'être prescripteur et de déplorer que la réglementation ne se traduise pas ensuite dans les faits, comme tendent à le montrer les enquêtes, notamment sur les risques cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques. Le plan de modernisation de l'Inspection du travail initié par Gérard Larcher et Xavier Bertrand, qui a prévu 700 postes supplémentaires d'inspecteurs et contrôleurs, se poursuit. Il va permettre de renforcer le contrôle, notamment dans les entreprises où la sinistralité est la plus importante. Ces contrôles constituent un axe prioritaire du second plan santé-travail, qui sera mis en oeuvre avant la fin de l'année.
Ne faut-il pas également renforcer les sanctions contre les entreprises contrevenantes ?
X. D. : Il est nécessaire de rendre le système de contrôle plus efficace en renforçant l'effectivité des sanctions pénales. La crédibilité de la réglementation en dépend. Nous y travaillons. Les directeurs régionaux du Travail ont des contacts réguliers avec les procureurs de la République, et la direction générale du Travail monte un observatoire des suites pénales, afin d'avoir une visibilité et un suivi des procès-verbaux dressés par l'Inspection. Mais la sanction passe aussi par des pénalités financières et par des incitations. Ainsi, le prochain PLFSS [projet de loi de financement de la Sécurité sociale, NDLR] comportera des mesures permettant de majorer plus facilement et de manière plus lisible les cotisations accidents du travail-maladies professionnelles des entreprises qui persistent dans des infractions et qui, de ce fait, mettent la vie ou la santé des salariés en péril. A l'inverse, le PLFSS devrait aussi permettre de simplifier le dispositif d'aides financières accordées par les Cram [caisses régionales d'assurance maladie, NDLR] aux entreprises pour réduire les risques professionnels.
Suite à l'échec des négociations sur la pénibilité, le dossier est revenu entre vos mains. Comment comptez-vous aborder ce sujet ?
X. D. : Je voudrais souligner que ce dossier de la pénibilité doit être traité en lien avec la question de la réforme des retraites. Le président de la République s'y est engagé devant le Congrès. Dans ce dossier, j'ai deux convictions. D'abord, tout doit être fait pour permettre le maintien des seniors dans l'activité, notamment grâce à une politique de prévention renforcée. Mais on serait de mauvaise foi si, en demandant aux salariés de repousser leur départ en retraite, on ne se préoccupait pas, pour certains d'entre eux, de la compatibilité de leurs conditions de travail avec l'évolution de leurs capacités avec l'âge. Les solutions peuvent être multiples et ne doivent pas se limiter à la cessation d'activité : on peut penser au tutorat, aux changements de métier, au recours choisi au temps partiel, etc. Ces sujets feront partie intégrante du tour d'horizon complet que j'aurai avec les partenaires sociaux dans les prochaines semaines. J'ai la conviction que nous trouverons une solution qui fera consensus.
- 1
" Alerte aux combinaisons ", Santé & Travail n° 59, juillet 2007, page 9 ; " Exposition aux cancérogènes : les vêtements de protection inefficaces ", publié le 25 juin 2009 sur le site www.sante-et-travail.fr
- 2
" On n'en a pas terminé avec l'amiante ", Santé & Travail n° 66, avril 2009, page 6.