Un été meurtrier pour les saisonniers dans les vignes
Quatre travailleurs saisonniers sont morts en Champagne début septembre, lors de la récolte des raisins. En cause, les températures caniculaires mais aussi les conditions de travail et de vie d’une population précaire, pour laquelle il demeure difficile de faire valoir ses droits.
La semaine du 4 septembre, le thermomètre a dépassé les 30 degrés entre les pieds de vigne en Champagne. Ces températures record sont à l’origine de quatre décès de vendangeurs, qui auraient succombé à un coup de chaleur. Celui-ci survient généralement après une déshydratation prononcée. « Les personnes ne produisent plus de sueur, or c’est le meilleur moyen de réguler la température corporelle. Cela peut mener à des convulsions, des pertes de connaissance et à la mort dans 15 % des cas », décrit Didier Morin, neurophysiologiste, professeur des universités à l’IUT de Bordeaux, au sein du département hygiène, sécurité, environnement. Selon cet expert, il s’agit du stade ultime des risques provoqués par la chaleur, « après les coups de soleil, les maux de têtes, les crampes du fait de la perte d’eau et de sels minéraux, et ensuite la syncope ».
Malaise en plein champ
Maria est saisonnière depuis quinze ans et elle a déjà fait un malaise en plein champ sous le soleil. Début septembre, elle était justement en pleine récolte de raisins, en Saône-et-Loire. « La chaleur était quand même moins étouffante qu’en juillet et août, où l’humidité était plus importante », témoigne celle qui se méfie particulièrement du soleil depuis cette alerte. Elle tente d’avertir ses collègues comme elle le peut, via un groupe What’s App, sur les dangers, les températures attendues, mais aussi le taux d’humidité, trop souvent oublié.
« Quand il fait humide, c’est pire, car la transpiration ruisselle sur la peau, ne s’évapore pas ; alors la température du corps n’est pas régulée », commente Didier Morin. Pour en faire prendre conscience aux futurs préventeurs qu’il forme à l’IUT de Bordeaux, le neurophysiologiste les fait pédaler en mesurant leur fréquence cardiaque dans une pièce et en augmentant l’hygrométrie. Dans ses cours, il présente aussi le heat index, qui montre par exemple que pour une température de l’air de 32 degrés, un coup de chaleur est possible dès lors que l’humidité de l’air atteint 70 %.
Comme toutes les activités de récolte, celle des raisins doit se faire dans un temps resserré, quelle que soit la météo. Les vignerons, plutôt épargnés les décennies passées par les températures élevées, sont à présent pleinement concernés et doivent prévenir ce risque le mieux possible. En effet, avec le réchauffement climatique, la cueillette des raisins a bien souvent lieu plus tôt dans l’année. Cela change la donne quant aux mesures de prévention à mettre en œuvre, lesquelles doivent être intégrées dans les pratiques professionnelles. Un véritable défi face au dérèglement climatique, comme l’a qualifié un avis du Conseil économique, social et environnemental en avril 2023. En 2018, l’Anses avait aussi alerté sur ce danger.
« Faire arrêter le travail »
Légalement, les employeurs sont contraints de fournir de l’eau lorsque le travail se fait en extérieur. Plus largement, ils sont responsables de la santé de leurs salariés, mise en danger au-delà de 28 degrés pour un travail physique, selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Ce dernier rappelle aussi que « l’employeur ne doit pas hésiter à faire arrêter le travail s’il considère que ses salariés sont en danger ». Une mesure qui n’est quasiment jamais appliquée spontanément. C’est ce que déplore le syndicat CGT de l’Inspection du travail dans une lettre ouverte adressée au ministre du Travail, le 15 septembre dernier, en réclamant des outils juridiques plus contraignants.
Une autre solution réside dans la réorganisation des horaires en période caniculaire. « Dans d’autres pays habitués aux chaleurs, commencer la journée vers 5 heures du matin avec une lampe frontale est communément admis. Cela permet de terminer avant que la température n’augmente trop, informe Maria. Ce n’est pas au saisonnier de le réclamer ou de suggérer une pause, au risque d’être pris à partie, c’est à l’employeur de l’imposer. »
Suite à la mise en lumière des décès en Champagne, le Syndicat général des vignerons (SGV) a eu tendance à rejeter la faute sur les saisonniers, qui feraient fi des recommandations en matière de prévention. Contacté, le SGV a décliné la demande d’interview de Santé & Travail, précisant simplement qu’il « relaie largement les messages de prévention et les préconisations émises par les différents spécialistes en la matière ». Avec des travailleurs nomades parfois étrangers, la barrière de la langue demande une adaptation des moyens d’informer. De son côté, l’INRS propose des supports pour rappeler les dangers et les meilleures façons de les éviter.
Des conditions d’hébergement à revoir
En termes de prévention, il serait aussi nécessaire de prendre en compte les conditions précaires d’emploi et de logement. Les saisonniers payés à la tâche sont ainsi tentés de persévérer, même quand le soleil tape trop fort, pour espérer gagner davantage que le Smic. « Si les salaires étaient plus élevés, personne ne mettrait sa vie en danger pour ramasser davantage de raisins, même au-delà de 30 degrés », rétorque Maria. Et pour un repos adapté à ce travail physique dans les vignes, les conditions d’hébergement devraient être revues.
« Les travailleurs saisonniers ont peur de perdre leur travail s’ils se montrent trop revendicatifs, et par la même, l’endroit où ils dorment, tout est lié, souligne Fabienne Goutille, chercheuse-intervenante en sciences humaines et sociales au laboratoire Epicene de l’université de Bordeaux. D’ailleurs, on ne peut pas récupérer de la même façon selon que l’on dort dans une tente, un camion ou en dortoir et quand seul un terrain est mis à disposition, comme c’est le plus souvent le cas. Il faut permettre aux personnes de se reposer dans des endroits décents lors des pauses et pendant la nuit. »
La précarité qui pèse sur les saisonniers explique aussi pourquoi ils utilisent peu le droit de retrait, même quand les chaleurs mettent leur santé, voire leur vie, en danger. « En général, ce droit est mobilisé par des personnes syndiquées, sûres de garder leur poste », remarque Fabienne Goutille.
Par ailleurs, le suivi médical est quasi-inexistant pour ces travailleurs nomades. « Le Tesa simplifié1
mis en place par la Mutualité sociale agricole pour recruter facilement en contrat court participe à l’uberisation du secteur, signale encore Fabienne Goutille. Les travailleurs embauchés dans ce cadre n’apparaissent même pas dans les statistiques du gouvernement, notamment en cas de décès. » Quelque 800 000 précaires demeurent ainsi dans l’angle mort des politiques de prévention.
- 1e titre emploi simplifié agricole ou Tesa permet aux employeurs agricoles de recruter des travailleurs occasionnels ou des salariés en CDD de trois mois maximum avec des déclarations sociales simplifiées.