Une étude pointe l’impact négatif de la disparition des CHSCT
Commandée par la CFDT, une étude de l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires) mesure les conséquences néfastes des ordonnances travail de 2017 sur la prise en compte des problématiques de santé et sécurité au travail par les représentants du personnel
Sept ans après la disparition des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), les instances représentatives du personnel traitent-elles efficacement les enjeux de sécurité et de santé des travailleurs ? Voici la question sur laquelle s’est penchée une étude de l’Ires, dont les conclusions, dévoilées mi-février, dressent un constat sans appel. Intitulée « La santé au travail, grande perdante des ordonnances de 2017 », elle dépeint un dialogue social affaibli.
Commandée par la CFDT, l’enquête s’est déroulée de mai 2022 à juin 2023 auprès de 29 élus CFDT issus d’entreprises de tailles diverses, trois membres de cabinets d’expertise, un responsable en fédération et une DRH. Les conséquences de la création des CSE sur l’état du dialogue social de manière plus globale avaient déjà été mesurées par une précédente étude de l’Ires publiée en janvier 2023.
Des élus du personnel à la peine
Cette nouvelle mouture porte plus précisément sur l’action des instances représentatives du personnel en matière de santé et sécurité au travail depuis la disparition des CHSCT. En fusionnant les CHSCT, les délégués du personnel et les comités d’entreprise (CE) à travers la création d’une entité unique, le comité social et économique (CSE), l’ordonnance du 22 septembre 2017 (dite « Macron ») visait à limiter le nombre de réunions et restaurer l’échange sur certains sujets traités par les instances. Autrement dit, que les questions financières traitées par le CE, et celles de la santé des travailleurs relevant du CHSCT, s’entremêlent au sein d’une seule instance.
Comme le pressentait la CFDT, le bilan de l’étude de l’Ires est globalement négatif : « De manière générale et sauf exceptions, les ordonnances ont donc dégradé les capacités de prise en charge de la santé et sécurité au travail par les élus du personnel dans les entreprises, sans apporter de réponses pour les plus petites », peut-on lire dans le document de restitution. Tout d’abord parce qu’il n’y a quasiment plus d’instance spécialisée sur cette question. Désormais, il existe un CSE dans les entreprises d’au moins 11 salariés, une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) dans les entreprises à partir de 300 salariés - ou quel que soit l’effectif dans les entreprises considérées comme représentant un risque particulier. Là où les CHSCT étaient obligatoires à partir de 50 salariés.
Pierre angulaire de cette réforme de 2017, le champ de la loi s’est réduit au profit des dispositions conventionnelles. Plusieurs agencements importants de la mise en œuvre et du fonctionnement de l’instance unique sont donc dépendants du rapport de force dans l’entreprise et de la capacité des partenaires sociaux d’aboutir à un accord. Dans la pratique, un constat s’impose, celui du recul des droits. Ainsi, selon une récente publication de la Dares, en 2021, on trouvait 26,9 % de CSSCT dans les entreprises de 50 à 299 salariés, contre 53,1 % pour les CHSCT. Même constat pour les représentants de proximité dont la présence reste facultative : ils n’existent que dans 25 % d’entreprise selon un rapport de France Stratégie de 2021.
« Auparavant, un pouvoir fort »
Sans oublier que la CSSCT ne dispose pas de la personnalité morale qu’avait le CHSCT. « Les CSSCT sont réduites à de simples commissions du CSE là où le CHSCT avait réussi à vraiment s’instaurer comme une instance en elle-même, détaille Pascal Thobois, sociologue et co-auteur de l’étude de l’Ires. Auparavant, le CHSCT s’arrogeait un pouvoir fort au sein du système de dialogue social dans les entreprises. Il pouvait même parfois lui être reproché une certaine autonomie par rapport au CE. »
Par ailleurs, les ordonnances de 2017 ont considérablement affaibli les moyens donnés aux représentants des salariés qui ont désormais moins d’heures de délégation ou de nombre de mandats. De plus, les suppléants ne siègent en CSE qu’en l’absence des titulaires. Résultat : les élus, chargés de traiter différentes questions techniques à la fois, sont moins spécialisés sur une thématique particulière, et bien souvent débordés. « Le CSE use les représentants du personnel », commente Fabien Pernot, secrétaire fédéral de la branche métallurgie de la CFDT et ex-secrétaire de CSE d’une entreprise de l’industrie automobile. Et le syndicaliste de détailler : « Depuis la fin des CHSCT, ils sont contraints de reprendre énormément de thématiques différentes : les questions d’économie et d’emploi, mais aussi toutes les revendications individuelles et collectives, ainsi que celles sur la santé et la sécurité. Avant une réunion, la direction envoie une tonne de documents nécessitant une analyse approfondie que les heures de délégation ne suffisent pas à couvrir. Tout cela s’ajoute au temps de travail des élus… »
A la toute fin des séances
La conséquence semble être une moindre importance accordée aux enjeux de santé et sécurité au travail durant les réunions de CSE. « Les questions de santé et de sécurité n’apparaissent pas comme prioritaires face aux enjeux stratégiques. Elles sont souvent abordées à la toute fin, quand les équipes sont épuisées par les six heures de réunions techniques auxquelles ils viennent d’assister, et sont donc bâclées », synthétise Fabien Pernot.
Il n’est pas rare que le bilan des arrêts de travail et des accidents du travail se résume à un décompte statistique, sans aucune discussion sur les conditions de travail et leurs conséquences sur la santé. Et lorsque cette question arrive, très souvent, le directeur général, qui préside le CSE, quitte la réunion pour laisser un collaborateur, notamment le responsable hygiène sécurité environnement de l’entreprise, s’en charger. « Symboliquement, cela dit quelque chose sur l’importance accordée à la santé des travailleurs, avance Frédéric Rey, sociologue et co-auteur de l’étude de l’Ires. Derrière, il se joue aussi la capacité à traduire ces problématiques en décisions, ce qui revient principalement au directeur général de l’entreprise. »
Cette baisse de moyens impacte également les pratiques des élus, lesquels ont moins de temps disponible pour réaliser des visites d’ateliers ou de services, des analyses d’accidents ou d’actions de communication. D’autant qu’avec la perte des délégués du personnel au profit d’hypothétiques représentants de proximité dont la présence n’est pas obligatoire, le lien avec les salariés s’est distendu.
L’enjeu est tout aussi important pour le travail des cabinets d'expertise intervenant sur les questions de santé et sécurité au travail. « En méconnaissant une partie du travail réel des salariés qu’ils représentent, les élus ne facilitent pas le travail des experts, souligne Stéphanie Gallioz1
, experte santé au travail au cabinet Syndex que nous avons sollicitée. Les élus ne perçoivent pas toujours l’intérêt pour l’expert d’interviewer certains salariés ou d’observer certaines situations de travail, afin de réaliser son analyse. »
« Tendance à s’auto-restreindre »
Qui plus est, les élus ont désormais plus difficilement accès à un certain nombre de ressources externes telles que les expertises, mais aussi les avocats, la médecine du travail, ou les inspecteurs. Auparavant, le CHSCT pouvait recourir directement à une expertise extérieure en matière de santé au travail. Aujourd’hui, cela passe par le CSE et implique une mobilisation d'une partie de ses ressources propres. « Estimant qu’une expertise empiète trop sur le budget, certains élus vont avoir tendance à s’auto-restreindre, pointe Stéphanie Gallioz. La loi dit pourtant que si le CSE n’a pas les moyens suffisants, l’expertise doit être prise en charge à 100% par l’employeur. Mais dans la pratique tout dépend des directions et du rapport de force que les élus réussissent à obtenir. »
Ce qui fait conclure aux chercheurs que « la prévention apparaît comme la grande perdante » de ces nouvelles règles de dialogue social. « Les experts sont sollicités une fois que les symptômes ou les problèmes apparaissent, plutôt qu’en amont », précisent-ils.
L’enquête de l’Ires souligne toutefois l’importance d’actions syndicales aux effets positifs de la part d’élus « particulièrement engagés et volontaires », comme par exemple, « un suivi serré en faveur du maintien dans l’emploi de salariés inaptes à un poste », ou encore, la création d’espaces de discussion sur la qualité de vie au travail. Toutefois, « c’est surtout la renégociation d’accords de dialogue social qui a permis, dans certaines entreprises, de consacrer plus de moyens à la santé au travail », conclut l’étude.
Retour à une forme de CHSCT ?
La renégociation d’accords sur le CSE figure d’ailleurs parmi les pistes d’action portées par les élus, comme la mise en place de formations communes aux managers et aux représentants des salariés, mais aussi l’obligation de présence de représentants de proximité, ou encore des CSSCT disposant davantage d’élus et d’heures de délégation. Des propositions de réformes sont aussi avancées : la baisse du seuil de 300 salariés conditionnant les CSSCT, le retour à une forme de CHSCT en dissociant les questions de santé et de sécurité au travail du CSE « en tant que sujet à part entière », ou encore, des suppléants pouvant siéger en CSE.
Pour Fabien Pernot, secrétaire fédéral de la branche métallurgie de la CFDT, les employeurs ont, eux aussi, tout à y gagner. « La perte des DP [délégués du personnel, NDLR] et des CHSCT aboutit à une dégradation des conditions de travail qui se traduit par une dégradation des résultats dans certaines entreprises », insiste le syndicaliste qui rappelle, au passage, un triste nombre : celui des 53 morts au travail en 2022 rien que dans la branche métallurgie.
- 1Stéphanie Gallioz est également membre du comité de rédaction de Santé & Travail