« Evoquer la santé mentale dans les PME n’est pas facile »
L’ouvrage collectif « Les petites entreprises face aux risques psychosociaux au travail » identifie les freins et les leviers de la prévention. Le juriste Loïc Lerouge, membre du Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, qui a coordonné ces travaux, en livre les grandes lignes.
Quelles sont les spécificités concernant les risques psychosociaux (RPS) dans les petites structures ?
Loïc Lerouge : Les obligations de sécurité et de prévention sont les mêmes, quelle que soit la taille de l’établissement. Juridiquement, l’employeur est tenu d’évaluer les risques pour la santé au travail, d’y répondre et de mettre en œuvre les moyens de les prévenir. Or les PME, qui représentent l’essentiel du tissu économique, peinent à déployer des mesures de prévention pour les RPS, qui ne se voient pas et sont complexes à objectiver. Ces petites entreprises échappent pour l’essentiel au droit de la santé et de la sécurité au travail. Peu effectuent des diagnostics et, quand elles le font, il leur est difficile de passer du diagnostic à l’action.
Pour quelles raisons ?
L.L. : On y observe un déficit de ressources pour mettre en œuvre tout d’abord une véritable politique de prévention. En outre, les employeurs n’ont pas forcément le temps, ni l’énergie. La dépendance économique aux donneurs d’ordres laisse aussi à ces petites entreprises peu de marges de manœuvre ; elles sont responsables des conditions de travail sans en avoir la complète maîtrise. Les relations de subordination en leur sein sont également différentes, avec davantage de proximité et des modes de conflits particuliers. Par exemple, la plainte des salariés ne s’exprime pas de la même manière, ainsi que le montre un article du livre ; favoriser son expression et la capacité qu’elle soit entendue pourrait être une avancée.
Enfin, les effets de seuil empêchent l’application intégrale du droit de la santé au travail.
De quelle façon se traduit cet effet de seuil ?
L.L. : En deçà de dix salariés, le rapport est beaucoup plus direct entre employeur et employés, faute de management intermédiaire. Un article du livre mais aussi d’autres enquêtes montrent que les RPS sont moins présents dans ces petites entreprises. Mais quand ils le sont, les conséquences peuvent être plus violentes, à cause justement de l’absence de médiation. Or il n’y a pas de CSE dans ces très petites structures. Une Commission paritaire régionale interprofessionnelle (CPRI) doit être instituée afin de représenter salariés et employeurs. Autrement dit, le dialogue social se passe à l'extérieur de l’entreprise. Et la santé au travail n’est pas forcément le premier sujet de discussion des CPRI, qui sont par ailleurs éloignées du terrain de chaque entité. Dans les entreprises un peu plus grandes, qui ont l’obligation d’avoir des élus du personnel, leur présence est cependant réduite et ne solutionne pas la question de la représentation des salariés en santé au travail. Le rapport de force est donc très déséquilibré et les moyens sont peu développés pour négocier une véritable politique de prévention qui traduise les attentes des travailleurs.
Quelle approche en matière de prévention des RPS pourrait être intéressante ?
L.L. : Les grandes entreprises sont plus acculturées et structurées pour évaluer et prévenir les risques. En revanche, évoquer la « santé mentale » ou les risques psychosociaux dans les petites entreprises n’est pas facile. Nous avons dû modifier notre approche en ciblant plutôt le dialogue sur le travail, l’activité, les conditions nécessaires à la réalisation des tâches, etc. Parler du travail dans un premier temps permet d’aborder ensuite plus facilement les questions de santé.
Faut-il revoir le droit pour l’adapter ?
L.L. : Depuis les ordonnances travail de 2017, le droit du travail se fait dans les entreprises, la loi devenant supplétive. Les branches pourraient être le bon niveau pour instaurer une politique plus incitative de prévention des RPS, adaptée aux PME. Comme aux Pays-Bas où celles-ci négocient des accords en santé au travail très techniques et précis. Les employeurs doivent respecter ces accords qui les engagent : ils leur donnent les moyens de mener une politique de prévention sans effets de seuil.