Expertise : « Les CHSCT doivent anticiper »
La loi du 14 juin dernier sur la sécurisation de l’emploi a modifié les règles de consultation des CHSCT et du recours à l'expertise. Commentaires et conseils de François Cochet, directeur des activités santé au travail du cabinet d’expertise Secafi.
La loi du 14 juin 2013 a modifié différentes règles relatives aux expertises CHSCT. Quelles évolutions majeures jugez-vous positives ?
François Cochet : D’abord, l’article L. 4614-12-1 du Code du travail, créé par cette loi, instaure en cas de plan social une obligation de consultation du CHSCT et celui-ci pourra demander une expertise à un cabinet agréé. Le licenciement collectif étant un « changement important des conditions de travail », le CHSCT pouvait déjà se faire assister, mais il lui fallait souvent aller en justice. Désormais, la consultation du CHSCT est systématique. L’employeur doit l’informer de ce qui va changer pour les conditions de travail, notamment concernant la charge de travail de ceux qui restent.
Ensuite, et pour la première fois, une disposition va permettre aux différents CHSCT d’une même entreprise de travailler ensemble dans le cadre de l’instance de coordination des CHSCT (ICCHSCT). Celle-ci a pour rôle de piloter une expertise unique qui sera nécessairement plus importante et devra prendre en compte la situation de chaque établissement. Elle n’est que provisoire et sa mise en place dépend du bon vouloir de l’employeur, ce qui est très restrictif. Mais la situation antérieure d’isolement des CHSCT, où ils engageaient parfois des expertises parallèles sans pouvoir se rencontrer, était frustrante. Je retiens aussi comme très positif que les CHSCT n’aient finalement pas été dépossédés de leur droit propre à être consultés, même en cas de mise en place d’une ICCHSCT. Enfin, et c’est peut-être l’essentiel, cette loi incite à négocier. Son message est clair : pour ceux qui ne négocieront pas, le cadre fixé est rigide et restrictif. A contrario, ceux qui arriveront à négocier pourront déroger. En effet, l’article L. 4616-5 indique qu’« un accord d’entreprise peut prévoir des modalités particulières de composition et de fonctionnement de l’instance de coordination ». Rien n’empêche, par exemple, de donner un caractère plus durable à l’instance de coordination ou de répartir ses membres en proportion de la taille des établissements. Mais bien sûr, pour négocier, il faut être deux, or le cadre fixé, dans l’ensemble favorable aux employeurs, risque de pousser ces derniers à s’en tenir à la loi.
Quelles modifications estimez-vous négatives ou contraignantes ?
F. C. : Pour « sécuriser les calendriers » de concertation sociale, la loi est allée très loin. Les délais de toutes les consultations liées à des réorganisations vont être strictement fixés. Au-delà, l’avis est « réputé rendu négatif », qu’il s’agisse du CE ou du CHSCT. En pratique, « construire » les missions d’expertise à partir de l’écoute des demandes des élus va devoir se faire dans l’urgence. La négociation des moyens nécessaires à l’expertise sera compliquée.
Quand un CHSCT a les moyens de bien travailler, son avis est argumenté. Rappelons que le CHSCT a pour mission, selon les articles L. 4612-1 et suivants, de « contribuer à la protection de la santé », de « procéder à l’analyse des risques professionnels » et de « contribuer à la prévention des risques professionnels ». Le fait qu’il se prononce en synthèse pour ou contre le projet n’est pas l’essentiel. Son avis doit identifier les risques du projet pour la santé des travailleurs et proposer des actions de prévention. Sur le plan juridique, l’avis du CHSCT a d’ailleurs plus de conséquences que celui du CE. L’article L. 4131-4 prévoit que le bénéfice de la faute inexcusable de l'employeur est de droit pour les victimes d'un accident du travail si le CHSCT a signalé à l'employeur le risque qui s'est matérialisé. Et je vois mal un juge ne pas en tenir compte parce que l’avis aurait été rendu avec retard. La question de l’avis du CHSCT « réputé rendu » parce que hors délai est une aberration de mon point de vue.
Comment doivent réagir les CHSCT ? Sur quoi doivent-ils être vigilants ?
F. C. : Dans ce nouveau contexte, les représentants du personnel au CHSCT doivent absolument anticiper. Ceux qui ne le feront pas risquent de découvrir leurs collègues de l’ICCHSCT le jour de la première réunion, ne pas savoir qui élire comme secrétaire, perdre quinze jours à se mettre d’accord sur le choix d’un cabinet, devoir improviser le cahier des charges de l’expertise. Enfin, ils se retrouveront quelques semaines plus tard pour découvrir le rapport d’un expert épuisé qui aura travaillé « en aveugle ». Dès la désignation des futurs membres de l’ICCHSCT[[Le décret du 28 juin2013 a en effet prévu que les membres soient désignés par les CHSCT lors de la première réunion suivant leur désignation au CHSCT (R. 4616-1), sans attendre un éventuel projet commun.]], et sans attendre l’annonce d’un projet, je conseille aux élus concernés de demander à pouvoir se rencontrer, se former, et d’envisager très en amont une collaboration possible avec un cabinet d’expertise. Ainsi, ils ne seront pas pris au dépourvu lorsqu’une consultation sera engagée. Ils pourront se coordonner et jouer tout leur rôle.