Expertises CHSCT : mauvaise note pour La Poste
Dans une note interne, La Poste Enseigne délivre à ses présidents de CHSCT des conseils pour éviter les expertises. En décalage complet avec les recommandations de la commission sur le dialogue social, présidée par Jean Kaspar.
C’est un document qui pourrait se révéler embarrassant pour la direction de La Poste dont Santé & Travail a pris connaissance. Il s’agit d’une note interne destinée aux présidents de CHSCT de la partie Enseigne du groupe, c'est-à-dire aux représentants de la direction au sein de ces instances. Son objet : donner les recommandations à suivre face aux demandes d’expertises émanant des représentants du personnel, afin de les éviter si possible. « Tombée » entre les mains de Sud PTT, ce document risque de mal passer auprès des organisations syndicales, tant sa lecture donne l’impression que la direction n’attend pas grand-chose des expertises demandées par les représentants du personnel ni, surtout, de leurs avis. Son propos vise essentiellement à protéger juridiquement l’entreprise d’éventuels recours devant les tribunaux et à ne pas perdre trop de temps dans la mise en œuvre des projets. A l’image du paragraphe « Comment se préparer dans le cadre d’un projet “ pour limiter les demandes d’expertises ” ». On y trouve des recommandations plutôt saines, comme celle d’ « intégrer dans la conception du projet un volet impact sur la santé et les conditions de travail des agents », mais aussi d’autres qui tiennent plutôt de la bonne grosse ficelle : « Appeler tous les documents “projet” (exemple “projet de réorganisation”, “projet de déploiement d’un matériel”) afin de montrer que le dossier n’est pas finalisé. »
Eviter le délit d’entrave
La ligne suivante confirme que c’est la sécurité juridique et le formalisme qui priment : « Présenter les projets au CHSCT ni trop tôt ni trop tard afin que les représentants du personnel puissent émettre un avis (si le projet est présenté alors que le déploiement est imminent, il peut y avoir délit d’entrave car l’avis du CHSCT ne peut pas être pris en compte). » Pour Magali Lacroix-Ferrier, membre d’un CHSCT de La Poste Enseigne à Marseille, « la direction explique comment faire de l’entrave sans tomber sous le coup du délit d’entrave ».
La direction de La Poste se défend avec vigueur d’une telle interprétation. Contactée, Pascale Duchet Suchaux, directrice prévention, santé et sécurité au travail du groupe, insiste : « Ce document n’est qu’une partie de l’ensemble de la formation des présidents de CHSCT. Celle-ci porte sur tous les thèmes majeurs de la prévention, de la santé au travail et du fonctionnement de cette institution représentative du personnel. L'expertise est un droit du CHSCT et nos formations visent à ce que ce droit soit pleinement exercé dans le cadre du Code du travail et de la jurisprudence. »
En soi, le document ne comporte aucun propos scandaleux ou condamnable. Lucide, cette note reconnaît même que « contester [devant les tribunaux, NDLR] la nécessité d’une expertise a donc peu de chances d’aboutir, retarde davantage le projet et présente un coût pour l’entreprise ». En ajoutant : « La politique actuelle de la DRH Enseigne est de laisser se dérouler les expertises, notamment sur la méthode de dimensionnement des moyens, de recueillir ensuite ces expertises externes pour les produire lors des demandes ultérieures d’expertises par d’autres CHSCT, en engageant le cas échéant des contestations en justice. »
« Climat de confiance »
Evidemment, dans toute entreprise, les directions cherchent à se prémunir des risques juridiques et l’on ne voit pas pourquoi La Poste échapperait à cette logique. Sauf que précisément, face aux risques psychosociaux et à la recrudescence de suicides, la direction a mis en avant son souhait de renforcer le dialogue social. En mars 2012, Jean-Claude Bailly, le PDG de La poste, avait mandaté l’ancien secrétaire général de la CFDT, Jean Kaspar, pour présider une « commission du grand dialogue ». Dans son rapport remis en septembre dernier, la commission pointait, parmi les chantiers prioritaires, celui du « dialogue social et de la régulation sociale ». « L’enjeu, était-il précisé, est de créer un climat de confiance permettant à chacun des acteurs (directions, encadrement, organisations syndicales et personnels) d’exercer pleinement leurs responsabilités et de contribuer à l’émergence d’une dynamique sociale contribuant au progrès de la démocratie sociale à La Poste. » Plus loin, le rapport insistait sur « les conditions à réunir pour permettre aux OS [organisations syndicales, NDLR] et aux représentants du personnel d’être associés le plus en amont possible des choix organisationnels ». Au vu de la note interne – rédigée depuis moins de trois mois compte tenu des événements qu’elle rapporte –, il semble que La Poste soit encore loin d’« une implication de tous les acteurs dans une logique de co-construction : direction, organisations syndicales et actionnaire », la quatrième priorité définie par la commission Kaspar.
Alors que plusieurs suicides, ou tentatives de suicides, ont de nouveau frappé l’entreprise ces dernières semaines, la direction va devoir rapidement trouver de nouvelles réponses à l’inquiétude de ses agents. Plus convaincantes surtout quant à sa bonne foi.