" Les expositions professionnelles sont de mieux en mieux renseignées "
Considérez-vous que le dossier médical en santé au travail (DMST) doit être un outil à la disposition des salariés ?
Mireille Chevalier : Le DMST, tel qu'il a été recommandé par la Haute Autorité de santé (HAS), peut être un outil important pour la traçabilité des expositions professionnelles. Il permet aux médecins de mener à bien leurs missions de prévention, mais il offre aussi aux salariés des connaissances sur leur santé et les risques auxquels ils ont été exposés. Ceux-ci doivent pouvoir utiliser leur dossier pour faire valoir leurs droits, que ce soit en termes de reconnaissance de la pénibilité ou de reconnaissance des maladies professionnelles. Cependant, ce sont les employeurs qui sont responsables des expositions professionnelles. Il ne s'agirait pas de décharger l'employeur de ses responsabilités en faisant reposer la traçabilité sur les médecins du travail. Cela représenterait une dérive importante et pourrait nuire aux salariés. Nous essayons de renseigner les dossiers médicaux quant aux risques professionnels, mais nous n'avons pas toujours accès aux informations pertinentes. C'est notamment rarissime d'obtenir les fiches individuelles d'exposition ou les attestations. De ce fait, le dossier médical ne peut faire foi en matière de reconnaissance des expositions professionnelles. Il doit plutôt être considéré comme un document de recours pour le salarié en cas de défaillance de l'employeur, comme tout autre document qui pourrait d'une façon ou d'une autre l'aider à prouver ses expositions.
Comment expliquez-vous que les recommandations de la HAS soient aussi peu suivies par les médecins ?
M. C. : Si nous sommes globalement en accord avec ces recommandations, il est vrai qu'elles sont peu mises en oeuvre dans les services. C'est avant tout un problème de temps et de moyens. Rechercher les expositions antérieures est chronophage. Or les médecins du travail, en sous-effectif, ne sont plus aujourd'hui en capacité d'assurer l'ensemble de leurs missions, ils doivent faire des choix. Certains ont en charge le suivi de plus de 5 000 salariés. Mais si on suit la réglementation actuelle, on ne devrait pas dépasser une file active de 2 700 salariés avec l'activité de tiers-temps1 et la surveillance médicale renforcée. Dans la réalité, rares sont les services où le temps médical est calculé en tenant compte de la surveillance médicale renforcée. Elle demande pourtant deux fois plus de visites des salariés, un tiers-temps et un temps de tenue de dossier médical plus important. Cela dit, si on compare ce qui se fait aujourd'hui avec ce qui se faisait il y a vingt ans, les expositions professionnelles sont de mieux en mieux renseignées par les médecins du travail. La situation s'est améliorée, même si elle est loin d'être parfaite.
Certains estiment que les médecins du travail devraient pouvoir alimenter un volet professionnel dans le dossier médical personnel (DMP) utilisable par les généralistes. Que pensez-vous de cette proposition ?
M. C. : Il me semble difficile de demander aux médecins du travail de rentrer des données dans un dossier médical partagé sans pouvoir accéder aux éléments de ce dossier. Et tant que nous serons en charge de la détermination de l'aptitude du salarié, comme c'est le cas actuellement, nous rencontrerons à juste titre des difficultés pour obtenir les conditions les plus favorables à la confiance des salariés. Depuis des années, nous considérons que l'aptitude ne devrait pas être portée par les médecins du travail. C'est de notre point de vue un conflit d'intérêts majeur et un handicap pour notre mission de prévention. Pour que le DMST et la traçabilité des expositions fonctionnent vraiment, nous devrions retrouver des effectifs suffisants, conserver le choix de nos missions, mais aussi obtenir la confiance des salariés.
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Selon l'article R. 4624-2 du Code du travail, le médecin du travail doit consacrer un tiers de son temps à l'action en milieu de travail.